samedi 13 août 2011

Lolita - Vladimir Nabokov

Certaines œuvres d’art, par l’émoi et la puissance qu’elles suscitent, transcendent le particulier pour atteindre l’universel. C’est ainsi que Lolita, l’héroïne du roman de Nabokov, s’est vu emprunter son prénom pour qualifier toute jeune fille prépubère sexuellement attirante. Nabokov n’en attendait certainement pas autant de son ouvrage, il fut déjà en peine lorsqu’il s’agit de le faire publier. S’opposant au refus des éditeurs américains qui, en plein maccartisme, craignaient de finir emprisonnés suite à une publication aussi sulfureuse, Nabokov fut contraint de faire publier son ouvrage à Paris en 1955 dans la langue de Shakespeare. A la suite d’un article du Sunday Times qui attira l’attention sur le livre en Grande-Bretagne, Lolita fut censuré par les autorités françaises sur l’injonction de leurs homologues d’outre-manche, mais pas pour longtemps. Car les décrets invoqués, relatifs à la « liberté de la presse » et au « contrôle de la presse étrangère », ne s’appliquaient pas dans ce cas. L’éditeur alla se pourvoir en justice, déclenchant un scandale autour de l’affaire qui allait assurer en partie la promotion de son catalogue. Et quinze millions d’exemplaires des fausses mémoires d’Humbert Humbert furent tirés à ce jour.


Humbert Humbert, voici le pseudonyme de cet homme qui déclencha tant de passions. Ce dernier nous raconte, à travers un mémoire qu’il aurait rédigé en prison, sa rencontre et sa vie avec Lolita. La nymphette, âgée de douze ans lors du premier contact, le séduira au premier regard, lui rappelant son amour inassouvi avec la jeune Anabel quelques décades auparavant. Pour se rapprocher d’elle, il n’hésite pas à manipuler son entourage, fort réduit heureusement, et semble prêt à tout pour triompher des obstacles qui le séparent du bonheur ultime, vivre enfin avec une nymphette. Une fois cet idéal atteint, il sera progressivement gagné par la jalousie et la paranoïa.
 
Dans un premier temps, nous suivons donc la séduction de Lolita par Humbert Humbert, comment, en tant que simple pensionnaire, il parviendra à s’imposer dans le cœur de la nymphette et celui de sa mère. Dans la seconde partie, nous accompagnerons le duo, sillonnant les Etats-Unis pendant une bonne année, et la dégradation progressive des rapports de ce couple improbable.
 
La première partie de l’ouvrage pourrait ressembler aux prémices d’une belle histoire d’amour, l’amoureux transi incapable de satisfaire son désir élémentaire, d’atteindre l’idéal convoité en raison des lois et de la morale. Lui-même se sait pervers, se définit comme tel, mais ne peut s’empêcher d’éprouver à l’endroit des nymphettes un attrait incoercible. Cet amour et la façon dont il s’exprime est touchant plus qu’il n’est gênant ; si Humbert Humbert  aimerait satisfaire son désir jusqu’à l’ultime extase, il souhaite que cela se fasse à l’insu de Lolita, et en préservant sa virginité. C’est pourquoi ses stratagèmes, d’un ordre peu moral il faut l’avouer, revêtiraient presque un caractère chevaleresque. Ce pédophile, habitué à maîtriser ses pulsions, suscite la compassion du lecteur ; sa souffrance et l’amour presque virginal qu’il porte à Lolita ne peuvent manquer d’émouvoir.
 
C’est au cours de la seconde partie que le brave Humbert perdra de sa superbe. Le lecteur comme le narrateur pourrait croire, lors d’une scène mémorable, que le cœur de Lolita lui est définitivement acquis, mais la nymphette n’est pas de cette trempe. Cette tournée des Etats-Unis d’Amérique visera à conserver Lolita auprès de lui, du soir au matin, et une étrange relation, où se mélangeront des sentiments paternels et amoureux, verra le jour. Ces implications ambigües verront se révéler au grand jour l’égoïsme forcené d’Humbert Humbert, ne voyant dans Lolita qu’une possession capricieuse et ardue à gérer. Aveugle à la transformation de sa maîtresse peu encline à se livrer, voire totalement hermétique, il multipliera les moyens de coercition afin de reprendre le contrôle d’une situation qui lui échappera de plus en plus.
 
  Jusqu’ici on pourrait croire que j’ai apprécié Lolita, néanmoins la réalité est toute autre. Si la première partie de l’histoire fut agréable, j’ai du me forcer pour arriver au bout de la seconde, et donc du roman. En cause notamment beaucoup de passages qui m’ont paru superflus, un sens de l’ellipse trop peu développé pour me plaire. Car on voyage beaucoup avec Nabokov, on sillonne littéralement les Etats-Unis, de long en large et en travers, un univers construit durant trois années de labeur. Mais ces périples, loin d’éveiller ma curiosité, m’ont paru très longs par moment. Ainsi, l’ennui né de cet excès prosaïque m’a empêché d’éprouver de forts sentiments lors de la lecture. Si bien sûr j’ai deviné où Nabokov souhaitait emmener son lecteur, c’est la plupart du temps une forme atténuée d’exaspération qui m’animait. J’aurais pu poser le bouquin et le reprendre bien plus tard, mais je voulais absolument terminer Lolita, aller jusqu’au bout de ma lecture bien trop avancée pour abandonner. Pourtant, au moment d’écrire cet avis, en repensant à Humbert et Lolita, je ne peux m’empêcher d’éprouver envers eux  une pointe de mélancolie, de ressentir quelques émotions restées latentes durant la lecture. La preuve s’il en est que je n’ai pas été insensible au destin fictif des protagonistes.
 
Même l’écriture raffinée de Nabokov n’a pu me sortir de ma torpeur. Pour dire à quel point sa plume est affutée, je ne crois pas avoir lu plus belles pages que les quinze ou vingt premières qui ouvrent son roman ; son incipit figure dans mon panthéon des plus exquises amorces. Un concentré de sensualité qui berne le lecteur quant à l’orientation future d’ailleurs, puisque Nabokov le dira à l’occasion d’un article paru dans un quotidien, figurant dans l’édition que je me suis procurée, il n’a jamais voulu faire de roman pornographique ; dès lors il ne faut pas s’étonner que la bagatelle se contente d’être évoquée, jamais décrite dans quelque détail. L’ambition de Nabokov est tout autre, il souhaitait avec Lolita créer une œuvre de fiction qui susciterait une « jubilation esthétique, à savoir le sentiment d’être relié quelque part […] à d’autres modes d’existence où l’art (la curiosité, la tendresse, la gentillesse, l’extase) constitue la norme. »
 
Inutile de m’appesantir plus longuement sur cette déception, Lolita n’est pas parvenu à m’émouvoir autant que je l’aurais souhaité. Peut-être n’étais-je pas encore prêt pour cette rencontre, et c’est pourquoi je lui donne rendez-vous dans quelques années, le temps de muter et d’oublier afin de mieux redécouvrir.
 
 
Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-lii-ta : le bout de la langue fait trois petits pas le long du palais pour taper, à trois, contre les dents. Lo-lii-ta.
Le matin, elle était Lo, simplement Lo, avec son mètre quarante-six et son unique chaussette. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l’école. Elle était Dolores sur les pointillés. Mais dans mes bras, elle était toujours Lolita.

2 commentaires:

  1. GiZeus je profite de mon petit tour sur ton nouveau blog pour m'attarder un peu sur ton post sur Lolita.
    Ce livre est troublant, terriblement dérangeant. J'ai indéniablement éprouvé de l'empathie pour cet Humbert Humbert, au point de me surprendre à accuser Lolita : tout serait tellement plus simple pour nous lecteurs si elle se refusait à HH, si elle se débattait, si elle protestait un tant soit peu ! Alors HH serait définitivement un monstre violeur. Mais là... J'ai éprouvé un sentiment très étrange d'attraction-répulsion, une aversion teintée de sympathie (ou peut-être est-ce l'inverse?) à la lecture. Mais je crois que j'ai aimé, et la plume de Nabokov n'y est pas pour rien. Effectivement les premières pages sont un délice, je n'ai pas du tout éprouvé par la suite les longueurs que tu évoques.
    Un livre à lire je pense, qui alimente une réflexion sur les relations qu'entretiennent éthique et esthétique.

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  2. De mon côté le sentiment était plus flou. D'une part je me suis laissé prendre au piège du "que faut-il penser MORALEMENT des événements narrés", ce qui pendant une partie de l'oeuvre m'a contraint à chercher à éprouver une forme de répulsion envers HH, avant d'accepter son caractère sympathique et honnête (il arrive d'ailleurs à convaincre de son amour "pur" envers Lolita. D'autre part et je suis d'accord avec toi, le personnage de Lolita est ambigu, j'ai eu du mal à éprouver de l'empathie pour cette gamine qui exploite plus qu'elle ne subit les désirs de HH. Elle provoque elle-même son malaise et semble peu à peu vouloir s'en extirper à mesure qu'elle grandit. Mais il ne faut pas oublier que Lolita rentre dans le début de l'adolescence au moment de sa connaissance avec HH, le jugement est dès lors moins aisé ;)

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