lundi 29 août 2011

Notre-Dame de Paris - Victor Hugo

Il existe certains livres dont la réputation fracassante, amplifiée par l'écho des siècles traversés, vous intimide parfois lorsque vient le moment de s'y plonger et d'y découvrir les myriades de trésors prétendument colportés. L'ampleur de l'ouvrage, la dimension historique incontestable et tant d'autres facteurs inquiètent le lecteur de passer outre des délices supposés. Notre-Dame de Paris appartient à cette catégorie d'ouvrages, et ce sentiment intimidant se voit renforcé par le volume de l'ouvrage, un bon pavé rumsteak de 700 pages à l'arrondi.

Croquis de Quasimodo par Hugo

Pierre Gringoire est un philosophe, un ami des Arts et des Lettres, qui se sent au pinacle de sa gloire le jour où l'une de ses pièces composée pour la Dauphine est jouée en présence de notaires de Paris. Ce qui devait pourtant consacrer son génie à cet instant précis, par les événements survenus dans la salle et au dehors, l'amènent finalement à n'obtenir aucune obole pour ce travail accompli et à échouer, par la force des choses, truand. Ce qui a détourné l'attention de sa pièce, c'est l'élection du rois des fous par les manants et les gueux de la ville, où nous faisons pour la première fois la connaissance de Quasimodo, élu roi à l'unanimité en raison de son faciès plus que de difforme.

C'est ce même Quasimodo qui se livrera plus tard à une tentative d'enlèvement sur la Esmeralda, jeune bohémienne de 16 ans au caractère angélique mais fier, à l'allure de brindille flottant au gré des vents, qui enjôle et charme son public sans comparaison possible, mais qui se voit prise à son tour par les pièges charmeurs de son sauveur, le capitaine Pheobus, grand coureur de jupon. Ce dernier sera d'ailleurs sa perte, puisqu'elle sera accusée de son meurtre et condamnée à mourir pour sorcellerie, et cela par la faute de Claude Frollo, archidiacre de Notre-Dame, qui lui voue étrangement une haine farouche et indéfectible.

Mais les truands, convaincus par Gringoire, ne renoncent pas à sauver leur sœur du gibet, et s'organisent pour faire sortir la belle de Notre-Dame, où elle est recluse depuis que Quasimodo, le sonneur de cloches, l'a sauvée une première fois.

Amis lecteurs amoureux de la brièveté et de la concision, passez votre chemin, Notre-Dame de Paris n'est aucunement fait pour vous plaire. Si plus d'un paragraphe de description achemine à vos yeux courroucés des litres de sang impatient, vous ne dépasserez pas le premier chapitre. Exomil, spliff ou autres remèdes de votre choix ne sauront vous convaincre de persévérer. Les plus courageux seront quant à eux récompensés, comblés, transportés aux nues par le lyrisme débordant  de Hugo. Ce cher Victor possède un style particulier, inimitable, inépuisable qui court tout le long du roman sans presque jamais s'arrêter ; la lecture de Notre-Dame de Paris est un marathon lyrique des plus agréables mais aussi des plus épuisants. Sa lecture, interrompue, hachée, s'est, je crois, étalée sur trois mois, pendant lesquels l'opinion sur l'ouvrage fluctue sans cesse : l'ouvrage est magnifiquement bien écrit, mais il s'y passe peu de choses, l'ennui guette mais le style toujours y ramène. Bref c'est long, c'est épuisant à lire, il faut s'accrocher aux métaphores et périphrases qui parsèment le livre, et s'y plonger à corps perdu pour ressentir la puissance brute du style hugolien, qui arrive, lors du chapitre sur l'histoire de la ville de Paris, à transformer un cours d'histoire en épopée grandiose, en un chant éclatant d'amour et de gloire, qui métamorphose cet assemblage de briques et de pierres, de paille et de chaux, en une entité vivante, indépendante, conquérante, résistant à l'assaut des hommes et du monde.

Car chez Hugo le style se confond avec la forme, le lyrisme traduit et exacerbe les passions des acteurs, que l'on sent guidés plus par leur instinct que par la raison, ce qui correspond, si je ne me trompe, à l'idéologie romantique. Rarement on surprend Quasimodo, Frollo ou Gringoire effectuer un choix pragmatique, sauf lorsqu'il s'agit du choix de la vie. Et encore, Esmeralda émettra le souhait de mourir plutôt que souscrire à une vie privée de Phoebus. Ce dernier d'ailleurs sera la cause de la perte d'Esmeralda, mais au-delà de ça il est l'axe de l'ouvrage, la fatalité, l'Ananké tant redouté par Claude Frollo ; Phoebus est froid et insensible sous des dehors de jovialité, l'antithèse de l'archidiacre qui, sous des apparats d'austérité, dissimule un cœur de lave agité d'incessantes palpitations.

Le personnage de Quasimodo se révèle quand à lui moins énigmatique, il personnifie la cathédrale mutilée, tant physiquement qu'intellectuellement. Sa difformité s'explique par les affres du temps, des révolutions et des hommes sur la cathédrale, que l'on retrouve chez lui de naissance et amplifiée par les hommes; et sur le plan intellectuel sa bizarrerie d'esprit s'explique par les ravages internes sur la cathédrale, dont les modifications successives ont dénaturé la nature. Expliquée en un chapitre, l'importance de l'architecture au Moyen-Âge et avant rappellera à certains des souvenirs du comics From Hell, d'Alan Moore, où tout un chapitre exposait, entre autres, la réalité sous-jacente des symboles.

Au niveau des reproches, car il y en a et j'ai failli les oublier dans mon flux lyrique tant je me remémorais de si beaux instants, ce sont ces longueurs austères et infinissables décrivant les quartiers de Paris, des histoires de prévôts qu'on ne connaît pas et dont on se fout royalement, des commérages de l'ancien temps déjà anciens à l'époque, des allusions aux découvertes scientifiques qui datent tout autant ; bref des vieilleries apparemment indispensable au roman historique, mais si pesantes de nos jours (et de ceux de Hugo certainement).

Que dire finalement de Notre-Dame de Paris ? La conclusion est il me semble au-dessus de ces lignes, tant il m'est impossible de réduire mon commentaire sur l'ouvrage. Si la lecture n'aura pas été d'une traite, le commentaire l'aura, lui, été. C'est plutôt un bilan que je ferai de ma lecture, car je m'attendais à une certaine critique, à un certain message, moins ancré en creux et plus explicite, plus percutant, et il m'aura fallu atteindre la fin pour remettre toutes ces idées dans l'ordre. J'émettrai cependant un bémol sur la préface de l'édition « Livre de poche », qui par son obscurité et à son pédantisme semble s'adresser bien plus à des licenciés en lettres qu'à de « simples lecteurs », ou du moins amateurs parmi lesquels je me considère.

Finalement, Notre-Dame c'est long, c'est chiant. C'est beau, c'est magnifique, et surtout c'est un chef d'oeuvre.


Un dernier mot pour signaler qu'Hugo, en amant de toutes les femmes, vous délivre à vous mesdames, mesdemoiselles, ces quelques mots qui sauront au mieux vous réconforter, au mieux vous servir de bouclier :

Où les femmes sont honorées, les divinités sont réjouies ; où elles sont méprisées, il est inutile de prier Dieu.

Immédiatement suivi par ces paroles :

La bouche d'une femme est constamment pure ; c'est une eau courante, c'est un rayon de soleil. Le nom d'une femme doit être agréable, doux, imaginaire ; finir par des voyelles longues, et ressembler à des mots de bénédiction.

Comme quoi on a beau être un grand auteur, ça n'empêche pas de se planter.

6 commentaires:

  1. "un bon pavé rumsteak de 700 pages". Vous êtes un misérable de me faire rire alors que j'ai affreusement mal aux abdos (et partout ailleurs - un marathon de lecture ne donne aucune résistance physique). Mais Hugo, quoi, avec ses rythmes ternaires tonitruants, c'est quelque chose tout de même. J'avais lu Les Misérables lors de petites vacances scolaires en hypokhâgne (La Colonue, lu. Polyeucte, lu. Suivant sur la liste ? Les Misérables. Les Misérables ?! ... Lu) et là, je me lancerais bien dans Notre-Dame, en y repensant. Quoique... De toutes manières, les vacances touchent à leur fin.

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  2. J'ai très envie de me lancer dans du Victor Hugo, mais au vue de ce commentaire, ca ne sera pas ce livre en première intention !

    J'aime beaucoup le paragraphe sur le "lyrisme débordant" de Mr Hugo !

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  3. Je m'excuse sincèrement d'avoir nui à ta santé, pauvre petit animal fourbu par de longues lectures.

    De mon côté je vais prendre mes distances avec Hugo, quelque chose de plus distrayant m'ira très bien dans l'immédiat, comme par exemple l'intégrale de Bob l'éponge.

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  4. @Roz
    Oui j'ai tendance à déborder un peu également ;)
    Tu peux toujours tenter de t'y mettre, mais l'histoire ne démarre réellement qu'après 400 pages. C'est à tes risques et périls.

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  5. C'est un roman qui se trouve dans ma PAL depuis de nombreuses années maintenant. Je repousse toujours cette lecture. Un jour...

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  6. La visite de la cathédrale est prévue cet été avec toute la famille. Je verrai si je retrouve la même ambiance que dans le livre de Victor Hugo

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