mercredi 3 août 2011

Le Dernier jour d'un condamné - Victor Hugo

Hugo, qui ,comme le dit la préface, n'avait pas besoin de s'engager pour faire reconnaître sa notoriété, a néanmoins décidé de prendre parti contre la peine capitale, et démontrer ainsi tout le mal qu'engendre une telle punition, au-delà de l'application d'une peine de prison.


Loin de se lancer dans une argumentation outrancière, Hugo préfère prendre à la lettre la citation future d'Ormesson, qui précise qu'on n'atteint l'universel qu'en s'enracinant dans le particulier. Ainsi, le lecteur se retrouve confronté aux pensées d'un condamné à mort quelconque ; pensées funestes relatées dans un journal intime fictif. Qui est-il? D'où vient-il? Qu'a-t-il fait? Nous ne le saurons pas. C'est dans un soucis d'anonymat, de généricité, que Hugo ne donne que de maigres indices sur le passé et la situation de son personnage. Tout au plus savons-nous que c'est un père de famille, âgé d'une quarantaine d'années, vraisemblablement originaire d'un milieu aisé, et qui a commis un crime qui ne sera jamais évoqué.
 
A travers ces quelques pages, l'auteur s'attache à rendre son condamné humain, proche de nous malgré son crime. Pour ce faire, Hugo invente un personnage fictif, qui consigne ses pensées les plus intimes dans un ultime journal. Ce sera l'occasion de découvrir quelques tranches du passé de ce personnage pas si fictif, puisque nombre d'anecdotes sont issues de la vie même de Hugo. Tous ces souvenirs et impressions du condamné conduiront à humaniser son personnage de papier. Ainsi, toute l'atrocité du monde qui gravite, qui l'a condamné, apparait au grand jour. Et les "rebuts" de la société, les galériens, ces hommes qui tomberont bien bas lors d'un épisode survenu dans la prison, manifesteront alors bien plus d'humanité que toute cette société qui juge et condamne si froidement.

Hugo nous brosse un portrait édifiant de la société d'antan : du statut d'homme libre à celui de bagnard, et notamment de mort en sursis par la volonté des juges, il dénonce clairement l'opinion qu'avaient ses contemporains de ceux qui ont commis un faux pas, surtout quand leur crime est exhibé aux yeux de tous. L'histoire du compagnon de cellule du condamné montre clairement que la justice d'alors n'était que punition à perpétuité, qui forçait la récidive plus qu'elle ne l'endiguait, tant par la sentence des juges que par le regard des autres. Même si la justice condamne, une faute même minime suit pendant toute sa vie un homme pris la main dans le sac.

Mais le pire demeure certainement la vision déshumanisée qu'avaient les hommes d'un condamné à mort. Ils sont rares ceux qui éprouvent une pointe d'empathie envers cet homme, que tous s'attachent à considérer au mieux comme déjà-mort, au pire comme une babiole désuète. Le voyeurisme de la foule, qui se masse sur la place de grève, lieu d'exécution sanglant où tant de lames se sont abattues sur des têtes déjà à terre, est fortement dénoncé. Pour la populace, ce dernier soupir d'un homme est vécu comme un spectacle rare, intense, sans se douter que certaines têtes parmi l'assistance emprunteront elles aussi le même chemin.

Les protagonistes qui gravitent autour ne sont pas non plus épargnés.Ceux-là qui sont au plus près du condamné, et qui devraient s'apercevoir avant tout le monde du statut d'homme de leurs "protégés", sont les premiers à leur faire ressentir leur déshumanisation par le jugement. Et c'est bien de cela dont il s'agit. Hugo le dit : l'échéance de la vie paralyse toutes les autres pensées, et chaque fois qu'une seule tente de percer à la surface, elle amène inlassablement cette idée morbide qui parasite toutes les autres. Dépossédé de son corps et de ses pensées, le condamné n'est véritablement plus rien. Il ne possède plus rien, même ce qu'il croyait irréversible, comme le souvenir qu'il laisse à ses proches.

Malgré tout, je ne considère pas cet ouvrage comme un chef d'oeuvre bouleversant. Ceci est certainement à mettre en relation avec les idées qui y sont développées, sûrement novatrices ou percutantes pour l'époque, mais largement diffusées aujourd'hui. De même, je trouve qu'il manque un peu de hargne et de pugnacité dans les propos pour que j'adhère entièrement, et pour que le message soit plus intense encore. Parfois moins de filigrane, et plus de propos explicite m'auraient bien plu. Mais cela reste un avis personnel, qui juge ce texte presque 200 ans après sa parution.

Au final, et avec du recul, c'est un réquisitoire sans concession contre la peine de mort, mais aussi contre la société de son époque. Tout le texte doit se lire par l'émotion qu'il dégage, et il ne faut pas rechercher une quelconque argumentation ou dénonciation explicite. Cependant, j'ai trouvé plus de plaisir dans la plume de Hugo que dans l'émotion qu'il suscite. Comme spécifié, le propos aujourd'hui daté ne m'a pas vraiment ému, ni interpellé, sauf à certains moments. Mais j'ai plutôt apprécié ce court moment de lecture, qui apporte un éclairage qui m'était alors inconnu sur la condition d'un condamné à mort.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire