samedi 24 septembre 2011

Axiomatique - Greg Egan



Ah Greg Egan, depuis le temps que je voulais lire une de ses œuvres, et ce depuis qu’il fut le gagnant du prix du regretté Cafard Cosmique ! Voilà c’est enfin fait, et, comment dire, ce fut passionnant. Instructif. Eblouissant même à certains moments. Commençons.


La première nouvelle donne le ton avec une nouvelle qui surprend. Nous sommes dans la peau d’un missionnaire à la recherche de camés qui, lorsqu’ils consomment une certaine drogue, leur permet de faire s’entrechoquer des mondes parallèles à l’endroit même où ils se trouvent. Croyez-moi l’entrée en matière surprend, d’autant plus quand vous venez de vous taper une séance de sport et que les hormones vont font filer droit les mots et les pages, et que rien n’y personne ne peut empêcher votre regard de s’attacher à la signification profonde des mots qui défilent devant des yeux soumis au dictat d’un esprit empressé. On y comprend tout de même qu’il est question d’identité et d’intégrité, malgré les altérations possibles d’un univers à un autre. L’identité, un thème repris très souvent et de bien des manières par Egan, abondamment traité dans Axiomatique. Le sujet pourrait aussi se prêter à la seconde nouvelle, Lumière des événements, où l’on découvre un monde recevant des informations du futur, sans pour autant être capable de s’y rendre. L’information en provenance du futur étant relativement chère, chacun n’est autorisé qu’à recevoir une certaine somme de données, écrites, de leur vie future. Il doit à son tour faire de même, raconter les événements de sa vie pour le léguer à son soi du passé. Le procédé est soumis à validation. Ici Egan met en évidence le rôle du destin et de la fatalité, et dans un cadre plus général la manipulation consciente des médias dans nos sociétés modernes.

La troisième nouvelle, Eugène, est aussi riche d’instruction. Elle met en scène deux parents en train de choisir les attributs physique de leur rejeton, et le dilemme moral qui en résulte. Comme l’annonce le titre, c’est de l’eugénisme génétique qu’il est question, et bien évidemment Egan va loin, trop loin même à la fin. Mais peu importe, l’important est bien là ; on ressent toute l’horreur et le dépouillement de toute vie liée à l’eugénisme. Dans une autre veine, Egan nous emmène à la rencontre d’une âme vagabonde, changeant de corps comme de chemise à chaque fois qu’elle s’endort. Sous les dehors du Coffre-fort, se cache en réalité une réflexion profonde sur la formation de la personnalité en dehors d’un milieu stable, tout en mettant en exergue les capacités d’adaptation développées. La nouvelle aurait pu demeurer anecdotique sans le talent du conteur.

En apprenant à être moi, puis L’enlèvement, reviennent en orbite autour de l’identité, et plongent en profondeur dans les troubles abysses de l’Humanité, à la chasse de ces traits singuliers qui séparent l’Homme d’une simple machine de Turing. Le résultat est vertigineux, effrayant, dantesque, bref, Egan frappe fort. Dans ce marais ténébreux qu’est la définition profonde et singulière de l’homme, son caractère inaltérable et jusqu’à présent intranscriptible, Egan s’y fraye un chemin lent et sinueux, mais toujours ferme et appuyé, guidé par la flamme de sa plume.

La nouvelle la plus rafraichissante et inattendue est La Caresse. On y suit un flic bien entraîné qui, après avoir découvert un être hybride, mi-animal mi-humain, se trouve capturé par un milliardaire mégalomane. Outre les manipulations génétiques et la morale de tout ceci, il est en réalité question du rapport à l’Art. S’il est bien un domaine où je n’attendais pas un auteur de SF, c’est bien à ce niveau. D’autant plus que la réflexion s’applique essentiellement à l’art « visuel », c’est à dire la Peinture, mais aussi au Théâtre ou au Septième Art. La symbiose entre un figurant (au sens d’acteur ou modèle) et son rôle supposé dans l’œuvre, est d’une richesse admirable, elle montre comment l’art, ou illusion, et le réel se confrontent et s’entremêlent de manière inextricable, et d’un certain côté tout le travail nécessaire à la représentation d’un instant figé dans le temps, synergie de vies illusoires inventées par l’artiste et que celui-ci révèle au monde en une ultime gravure. Du Très Grand Art.

Sur la fin du recueil on trouve aussi quelques nouvelles marquantes, comme La Douve, où la xénophobie est évoquée, dont je me permets de citer un passage clairvoyant juste après la conclusion, mais également un artifice particulièrement monstrueux dans la nature de l’homme, voire de la vie, dont je ne sais si nous devons nous réjouir ou nous inquiéter à la mort. S’il existe, le débat fera certainement rage, et je serais bien curieux d’assister à son déroulement.

Sans compter que La morale et le virologue apparait peu après, et celle-ci glace encore plus les chairs. Qu’arrive-t-il lorsque extrémisme religieux et science se conjuguent ? Rien de bon semble-t-il. Ce texte éclate définitivement les doutes à propos de l’auteur, Greg Egan est le pire des salauds. Sa solution finale est la plus morbide, la plus écœurante et la plus abjecte que j’aie jamais entendue de ma vie, et je doute mais j’espère de tout coeur en entendre jamais une qui dépasse celle-ci en horreur. Mais plus répugnant encore est l’acte conclusif de l’extrémiste mis en scène, qui m’a véritablement donné un haut le cœur.

Sur une note plus intimiste, Egan nous livre deux textes attachants, P’tit Mignon et Plus près de toi. Le première montre l’amour impossible d’un humain pour un bébé artificiel à la durée de vie volontairement limitée, tout comme ses capacités cérébrales On ne peut manquer de se questionner sur le caractère obscène d’une vie artificiellement tronquée et modifiée pour satisfaire les besoins affectifs d’adultes incapables de trouver leur moitié pour procréer (mais n’ayant jamais été dans ce cas, et ne prévoyant pas de l’être pour un long moment, je ne me permets pas de jugement hâtif sur ces personnes). Quant à la seconde nouvelle, elle nous montre un couple avide de nouvelles expériences sur tout ce qui a trait au changement de corps, et ce jusqu’à la fusion de conscience. Toute une panoplie de procédés maltraitant d’après moi le corps et la conscience, sont ici mis en œuvre pour évoquer un problème bien plus universel, celui de l’amour, de la vie en couple.


D’une manière générale, j’ai plus qu’apprécié ce recueil. Relativement novice en hard-SF, je m’attendais à une liste monstrueuse de dispositifs rébarbatifs exposés sans grâce et au coeur même des intrigues. Bien au contraire, les mécanismes décrits sont aisément assimilables, tant que le novice se contente parfois de renoncer à assimiler la totalité du mécanisme pour apprécier seulement ses effets. C’est le cas par exemple de la machine à recueillir le futur, ou encore du dôme, issu d’une nouvelle moins marquante. Bref, n’importe qui peut lire Egan, qu’il soit chevronné en physique chimie, ou un type ayant oublié ses cours sur les bancs du lycée. Vous n’avez aucune excuse pour ne pas découvrir cet auteur (quant à l’aimer c’est autre chose, mais lisez le bon dieu !).

Sur la structure même de ses textes, il est intéressant de voir qu’Egan mélange souvent les thèmes. Il est très rare de lire une nouvelle axée sur un sujet unique. Et c’est cette composition qui rend les histoires plus profondes et passionnantes. Pourtant je ne peux m’empêcher de penser que tout ça va trop vite, qu’une nouvelle c’est court pour cet auteur, et ce malgré la pertinence toujours présente des thématiques. Je vais me montrer difficile, mais pour une digestion optimale j’aurais préféré que le récit se calme un peu à certains moment, pour me laisser respirer. Mais c’est réfuter l’essence même de la nouvelle que contester sa brièveté, alors je fermerai ma gueule et je dirai simplement que j’ai hâte de me lire le roman du sieur Egan, La Cité des permutants. Ah oui, j’allais oublier, Egan écrit vachement bien, c’est un régal de le lire, même après un pavé lyrique de Hugo.

Un dernier mot avant de vous libérer du tourbillon de mon clavier. Le thème des implants neuraux, celui qui au départ me passionnait le plus, s’est révélé au final moins intéressant que ce que j’attendais. C’est pourtant ce que j’estime le plus proche de nous au milieu de toutes les ingéniosités qui parsèment le recueil.



Extrait de La Douve :
Tu penses pouvoir élever une clôture autour de ce pays et oublier tout simplement ce qui se trouve à l’extérieur ? Dessiner une frontière artificielle sur une carte et prétendre que les gens de l’intérieur comptent, et que ceux de l’extérieur ne valent rien ?

A lire aussi chez Traqueur Stellaire, Les Singes de l'Espace, Julien Naufragé Volontaire, Valunivers, Anudar, Gromovar et Cachou

mardi 20 septembre 2011

La Huitième couleur - Terry Pratchett

Pratchett, tout le monde ou presque connaît ; sa série du Disque-Monde est l'une des sagas de fantasy contemporaine les plus connues. On peut même lire en préambule de l'édition poche que l'homme est le meilleur humoriste britannique de sa génération. Forcément, précédée d'une telle réputation, le récalcitrant modéré à la fantasy que je suis achève d'être convaincu et s'empresse d'aller vérifier les dires du peuple et des éditeurs.

Ankh Morpork, la double-cité dont toutes les autres ne sont que de pâles copies réduites, est menacée par un terrible fléau. Ce péril, voyez-vous, est de la pire espèce qui soit. Car en ville, il y a peu, est arrivé un touriste. Deuxfleur, tel qu'il se nomme, attise la convoitise de brigands en tous genres en raison de son or, tandis que le gardien de sa fortune, un coffre sur pattes, aiguise quant à lui la curiosité des passants et les moignons de ceux qui le sont trop. Ayant rencontré Rincevent, un mage à la destinée peu flatteuse, les deux compère tomberont de Charybde en Scylla dans un monde aux surprises variées.
 
On me l'avait dit, ce premier tome n'est pas des plus réussis. Et pourtant il n'est pas déplaisant. Ayant lu quelques années en arrière Pieds d'argile, qui ne m'avait guère ébloui, je m'attendais à explorer Ankh-Morpork davantage. Car rapidement on s'éloigne de la double-cité, on la fuit de plus en plus dans un mouvement qui semble être soumis à la force centrifuge du Disque. On sent que le but véritable de Pratchett, dissimilé par cette pseudo-trame de partie entre dieux, est bien plus la mise en place de son univers que la narration d'une histoire déterminée. La structure même du roman incite en ce sens, la division s'effectue non pas en chapitres mais en parties, durant lesquelles nous sont contées les péripéties des « glorieux » aventuriers. Certes on voit du pays, on se balade dans des contrées exotiques, mais en l'absence de véritable justification scénaristique l'ennui s'invite dans la partie. Il manque une liaison entre les différents épisodes pour garantir le suspens indissociable de cette fuite en avant dans les pages. En revanche, les ressorts ayant trait à la Mort sont la plupart du temps plutôt astucieux.
 
Quant à l'humour so british qui saupoudre généreusement le livre, il parvient à faire mouche. En réalité on trouve peu de raisons de s'esclaffer à chaque coin de page, bien qu'il me soit arrivé par moments d'éclater de rire ; non, c'est plutôt le ton badin de l'histoire, léger, relevé de quelques épices hilarantes qui donne son cachet à l'ouvrage. Personnellement je n'ai pas entièrement adhéré. Difficile dans certaines circonstances tragiques de trembler pour le héros alors que tout indique qu'il va s'en sortir. Les passages que j'ai préférés sont les trop brefs moments passés en compagnie des assassins et des voleurs, où l'humour se lie parfaitement au dramatique. Autrement, les scènes d'action sont très prenantes.
 
Mais revenons sur nos deux héros (prononcez la liaison du « x »), Rincevent et Deuxfleurs. Très honnêtement, j'ai eu du mal à m'identifier à l'un des deux. Si la légèreté exagérée de Deuxfleur fait souvent sourire, il arrive un moment où elle en devient importune. La caricature du touriste avide de tout-voir-tout-visiter-tout-photographier commence à agacer lorsqu'un monstre tentaculaire jaillit devant eux. Entre autres. La couardise du mage se montre quant à elle plus intéressante, l'auteur sait en jouer avec parcimonie et à bon escient pour produire des situations comiques mais néanmoins attachantes. Il est cependant dommage d'avoir affaire à un mage incapable de lancer un sort, à moins de mettre l'univers en péril.
 
Enfin bref, c'est pour moi une introduction en demi-teinte. Si Pratchett propose un postulat intéressant – un mage totalement naze et un touriste complètement insouciant -, il oublie de servir une histoire cohérente du début à la fin, le milieu ressemblant à un bouche-trou révélateur de son monde. Le choix des héros n'est pas non plus anodin ; un protagoniste avec davantage de caractère aurait pu relever le récit. Mais saluons tout de même le choix audacieux de l'auteur qui assume jusqu'au bout sa parodie en proposant des personnages hors-normes. On s'interroge tout de même sur la place centrale qui leur est accordée : peut-être auraient-ils du rester en retrait pour se faire apprécier à leur juste valeur ?

samedi 17 septembre 2011

Orgueil et Préjugés - Jane Austen

Voici un livre qui, je l’aurais cru il a peu de temps, n’aurait jamais eu une chance d’atterrir sur les rayonnages poussiéreux de ma bibliothèque sacrée. Eh oui, malgré sa réputation, Orgueil et Préjugés n’est pas de ces livres qu’un homme puisse ouvrir spontanément après lecture du résumé comme vous le constaterez plus bas ; le fait même qu’il ait été écrit par une femme, Jane Austen, tant vantée par certaines parties de la gente féminine, achoppe sur la virilité d’un esprit phallocrate en mots mais pas en gestes. Et c’est pourtant la redondance, ces derniers temps, de la vision de cet ouvrage, qui aura eu raison d’une résistance passive.
Enfin tout ça pour dire que ce n’est pas de ma faute si j’ai lu un bouquin de bonnes femmes ;)



Mme Bennet est en émoi. Et pour cause, elle vient d’apprendre que la propriété voisine de Netherfield sera bientôt habitée par un riche jeune homme célibataire, une véritable aubaine pour cette mère de cinq filles, dont aucune n’est encore mariée. Parmi toutes les demoiselles de Meryton, Jane Bennet, l’aînée, aura la faveur de M. Bingley, l’acquéreur du domaine. Alors que ce dernier est tout à fait affable et fait preuve de la meilleure société, son acolyte M. Darcy se montre d’une austérité et d’une discourtoisie qui en font l’homme le plus détesté du coin, notamment aux yeux d’Elizabeth. La relation entre Jane et M. Bingley va bon train, offrant à Mme Bennet la certitude d’un mariage très proche. Et pourtant, Bingley disparait du jour au lendemain pour Londres, sans crier gare, en compagnie de ses soeurs et ses amis, laissant la mère et la fille en état de perplexité.

Cette soudaine déconvenue n’ôte pas de la tête de Mme Bennet l’espoir de marier ses filles, à n’importe quel prix ou presque puisqu’elle fustigera durement sa fille Elizabeth lorsque cette dernière refusera la main du successeur testamentaire de son père, M. Collins, un pasteur obséquieux à l’extrême ne jurant que par sa protectrice Lady Catherine.

Quant à Lydia et Kitty, ce sont les officiers de la ville qui les attirent. L’espoir de Lydia, d’une frivolité spectaculaire, est de se marier la première parmi toutes ses soeurs, et dans ses desseins matrimoniaux elle trouve l’appui inconditionnel de sa mère, au grand désespoir de M. Bennet.

Avec Orgueil et Préjugés, comme dans la majorité de ses autres ouvrages si je m’en réfère à la préface, Jane Austen nous dépeint la petite bourgeoisie de son époque, campagnarde en grande partie puisque nous évoluons la plupart du temps hors des agglomérations citadines. Les « experts » de l’auteur nous expliquent que cette restriction du milieu est due à sa faible imagination, mais surtout par son désir d’être réaliste. Et réaliste elle l’est en effet, on ne peut le nier. L’amateur de lyrisme et de grande épopée risque d’être déçu par le contenu du roman, on suit la vie de la famille Bennet, régie par la préoccupation maternelle de marier chacune des filles. Tout ceci aurait pu être bien éprouvant – pour moi et mes camarades du sexe turgescent je l’entends -, si Jane Austen n’avait pris la peine de présenter son milieu de manière satyrique. A l’exception des deux aînées, Jane et Elizabeth, les dames et demoiselles de noyau familial sont l’emblème d’une société matrimoniale poussée à l’extrême. La mère n’a d’autre raison de vivre que marier ses filles, élabore des plans pour arriver à ses fins, et pour elle tout mariage fait office de bonheur, même lorsque M. Collins, l’homme le plus ringard et le plus emmerdant qui puisse exister sur Terre, demande la main d’Elizabeth, l’antithèse même de cette société basée sur le mariage. Il demeure toutefois une exception, Marie, dont l’auteur se moque pour dénoncer les perroquets philosophiques dont les seules paroles viennent des livres et non de leur cervelle.

Cependant, si Jane Austen se moque de la petite bourgeoisie, elle n’en brosse pas un portrait acerbe. Au contraire, les motivations sont expliquées, les personnages fouillés, et c’est là que le réalisme du roman développe toute son ampleur, car il montre la nécessité pour bien des filles d’antan une soumission au système pour s’assurer une meilleure subsistance. Cette obligation prend forme dans l’héritage, interdit aux femmes, réservé aux hommes, afin de ne pas disperser le patrimoine familial. Pourtant certaines filles au caractère bien trempé refusent envers et contre tout quelque arrangement néfaste à leur bonheur ; c’est le cas d'Elizabeth Bennet, qui jamais ne cède à un mariage qu’elle estimerait contraire à sa vision du bonheur, allant jusqu’à mépriser sa meilleure amie qui, elle, cèdera. Elizabeth est l’incarnation même de ces femmes fortes que l’on ne peut acheter, que l’on doit gagner.

Mais son rôle est encore accru, il sert une mise en garde que les moralistes de l’époque tentaient d’enseigner, notamment aux jeunes filles, celle de la première impression. C’est d’ailleurs le titre que devait initialement porter l’ouvrage avant de subir quelques réajustements. En effet, les personnages de Darcy et Wickham illustrent tout à fait cette tendance au jugement immédiat, dont on ne peut se départir qu’en ayant une connaissance presque exhaustive de la personne. Les actions de l’un trouveront indirectement le contrepoint total chez l’autre ; c’est une dichotomie presque parfaite que représente ce couple ambivalent.

Quant à l’orgueil, qui forme la première partie du titre, il se retrouve dans le comportement de Darcy et d’Elizabeth, bien qu’il soit moins aisé de le découvrir chez cette dernière puisque c’est elle que nous suivons. Je préfère ne pas en dire plus au risque de spoiler honteusement certaines parties.

Passons maintenant aux réflexions personnelles. Il est un personnage que j’ai peu mentionné, M. Bennet, dont j’adore la répartie, et il compte pour les personnages que je regrette de ne pas avoir vu davantage. Sans aller jusqu’à louer son comportement envers sa femme pour autant. A l’opposé se disputent M. Collins et Lady Catherine, au savoir-vivre inexistant.

La découverte du roman est très plaisante, en raison de la légèreté du ton et du fait que l’amour n’est pratiquement pas évoqué (le sujet c’est le mariage, ça semble presque logique, et la véritable naissance de l’amour se fera sentir également dans le coeur du lecteur), mais une centaine de pages – sur 400 au total – arrivé au milieu a plombé ma lecture. La faute en incombe à la prose qui me semble trop datée, mais plus spécifiquement aux menus événements qui n’ont pas su captiver mon attention, et dont la plupart des dames sont en droit de raffoler mais qui pèsent généralement sur un esprit masculin. Et pourtant vous serez aux anges d’apprendre que je me suis surpris, lors de l’ultime centaine de pages, à glousser par moments comme une jouvencelle découvrant les prémices du désir lors de la bonne fortune des soeurs.

Oui, mesdames, mesdemoiselles, messieurs, je plaide coupable. Avec plaisir même.


 A lire aussi chez Isil

vendredi 2 septembre 2011

L'illusion conjugale

Durant quelques années il m’est arrivé d’assister, régulièrement, en compagnie de mes parents, à la représentation de pièces de théâtres comiques, connues également sous l’appellation de « théâtre de boulevard ». L’autre soir encore, après un long moment sans fréquenter les planches, je suis retourné voir ce qui, d’après mon père, aurait du être la « pièce de l’année ». Le théâtre Princesse Grace de Monaco accueille généralement des pièces à consonance humoristique, je le sais parfaitement pour m’y être esclaffé un nombre incalculable de fois, et l’acteur principal, Jean-Luc Moreau, semble également réputé pour ses rôles non moins burlesques. C’est dans ces conditions que l’on voit toute la fausseté des apparences et des pronostics, car L’Illusion conjugale n’est pas de ces spectacles capables de vous paralyser les zygomatiques à force de tétanisation immodérée ; disons pour ne pas sombrer dans la méchanceté gratuite qu’elle les ménage avec bienveillance.


La pièce lève le rideau sur un couple, dans leur vaste salon ouvrant sur un ciel azuré. On comprend rapidement que la fidélité chez Maxime (Jean-Luc Moreau) n’est pas un principe bien établi, mais il se targue d’une déontologie visant à préserver l’honneur de sa femme (Isabelle Gélinas). Elle-même n’est pas en reste, puisqu’elle avoue son aventure passée. La durée excessive de la relation inquiète son mari, qui lui réclame à corps et à cris les détails sur l’amant. Elle ne cède pas et Maxime spécule sur l’identité du coupable, quant soudain le téléphone sonne. Son meilleur ami (José Paul), qui est au bout du fil, est alors invité à changer ses plans pour venir diner. Derrière cette invitation subite se dissimule évidemment un traquenard du mari jaloux, un interrogatoire en règle pour confondre au besoin son ami.
 
Le mari cocu est un sujet récurrent dans le théâtre de boulevard, bien des auteurs s’y sont essayés. Eric Assous tente ici de briser les codes, évite les multiples quiproquos et les situations fausses. Ou plutôt il ne les reprend pas, au point de se demander si L’Illusion conjugale appartient bien au genre. Gageons que non, Eric Assous propose une intrigue sur fond de jalousie, de soupçons et d’accusations, mâtinée de quelques propos comiques. Ce serait au contraire l’aventure humaine qui est narrée, si tant est que relater quelques heures passées dans un salon soit considéré comme une aventure. Je ne suis pas réfractaire au concept, même si j’attendais autre chose, et j’aurais certainement pu apprécier la pièce si bien des choses ne m’avaient dérangé.
 
Le principal défaut de la pièce réside dans sa froideur. Le ton se veut posé, la diction mesurée. Trop certainement, car le sentiment d’assister à une quelconque récitation n’est jamais loin ; l’élocution robotique ôte toute spontanéité. Ce manque de dynamisme s’exprime également par l’intermédiaire du jeu d’acteurs, ces derniers demeurant roides et compassés la majeure partie du spectacle. Les planches semblent alors bien désertiques, leur surface est bien insuffisamment exploitée en regard de la fixité des rôles. Il en résulte une distance particulièrement dérangeante entre les comédiens, souvent espacés plus qu’il n’en faudrait pour instaurer ce sentiment de complicité propre à une discussion intime, laquelle est l’objet principal de la pièce. Mais disposant uniquement d’un trio d’acteur, le pari n’était pas simple à relever.
 
Les rôles eux-mêmes ne sont pas mieux logés. On regrettera sincèrement qu’Eric Assous n’arrive à donner entièrement corps à ses personnages, trop souvent présentés sous la même facette, et incapables de susciter un quelconque attachement en dépit des rares moments de mise à nu des sentiments. Leur principal défaut vient de l’exagération manifeste de leur caractère, tel le meilleur ami du mari, beaucoup trop effacé pour coller au rôle au point que ce dernier devient malgré lui le parangon du manque de spontanéité qui caractérise ses confrères sur scène. Des tirades mal dosées et un masque de circonstance beaucoup trop laconique parachèvent la monotonie scénaristique.
De la trame on en retiendra son caractère basique. Comprenez par là qu’il n’y guère de rebondissements, et si l’idée de base avec le traitement qu’elle implique n’est franchement pas mauvaise, le tout traîne en longueurs parfois interminables pour expliquer les dessous d’un sous-entendu. Les coutures dans le texte sont bien trop apparentes pour qu’on ne décèle pas le caractère artificiel de certains échanges, contribuant ainsi à l’exploration de territoires hypnagogiques que certains rires extérieurs viendront craqueler à intervalles beaucoup trop espacés.
 
J’ai bien conscience du ton lapidaire de ma critique, et comme il arrive parfois je me dois de tempérer (légèrement) les propos précédents, car si le spectacle proposé n’était manifestement pas à la hauteur de mes attentes, il n’est pas aussi catastrophique que mes dires semblent l’attester. Néanmoins, je doute que mon commentaire s’accorde avec les voix tonitruantes de la profession, L’Illusion conjugale fut nominée pour les Molières cette année.

jeudi 1 septembre 2011

La mécanique du coeur - Mathias Malzieu

Mathias Malzieu n’est pas seulement le chanteur vedette du groupe Dionysos, c’est également un écrivain au ton décalé. La mécanique du coeur, court roman écrit avant l’album du même nom, est le second roman de l’auteur, si l’on excepte un recueil de mini-nouvelles publié à ses débuts.


Little Jack nait à Edimbourg, en 1874, le jour le plus froid du monde. Il viendra au monde dans des conditions particulièrement dures, qui lui vaudront d’avoir sa vie durant un coeur mécanique, une horloge surmontée d’un coucou réalisée par les soins d’une maïeuticienne excentrique, celle-là même qui l’élèvera. Reclus chez sa tutrice Madeleine, Little Jack veut voir le monde, et un jour que Madeleine accepte de le sortir en ville, il y fait une rencontre qui bouleversera sa vie. Là, en pleine rue, il se heurte à la plus adorable fille qu’il ait jamais vue, une « flamme à lunettes ». Une connexion se crée, le coeur mécanique de Little Jack s’emballe, se dérègle, et les aiguilles de son cadran pointent vers les étoiles de l’inconscience. Il est tombé amoureux mais a endommagé son coucou qui lui servait de coeur, l’amour lui est interdit s’il veut vivre.
 
Et pourtant Little Jack veut connaître l’amour, et il pense retrouver la piste de sa dulcinée sur les bancs de l’école. Mais tout ce qu’il trouvera là-bas ne sera qu’humiliation quotidienne et solitude. Mis à l’écart dès le premier jour par le caïd de l’école, un certain Joe, lui aussi amoureux de la « flamme à lunettes », il vivra un enfer de plusieurs années avant de s’enfuir en Andalousie retrouver sa belle. Le début d’un voyage initiatique qui lui fera découvrir les multiples aspects de l’amour.
 
Sous le titre d’ « oeuvre concept » se cache la plupart du temps un contenu plutôt banal que les responsables marketings essaient de refiler à tout un chacun. Avec le succès du groupe Dionysos, il est normal que je me sois méfié de la sorte, et j’aurais eu grand tort de passer à côté. Car si les soupçons persistaient encore à l’ouverture du livre, la première ligne dissipe ces interrogations somme toute légitimes. On y découvre un style percutant, qui frappe l’imagination par la richesse de ses images. Ce sens du décalage dont nous gratifiait Mathias Malzieu dans ses compositions musicales semble ici déployer plus encore ses ailes vaporeuses. La Mécanique du coeur est à lui seul une collection de métaphores qui vont de l’incongru au complètement loufoque. Et forcément ça marche, les pages courent sous les doigts, et nous, pauvre lecteur arrimé à l’imagination débordante de l’auteur, on en redemande. J’opposerai cependant un bémol car la prose n’est pas toujours à la hauteur ; moi qui préfère les phrases aux constructions plus complexes, j’ai été déçu par la relative pauvreté structurelle. Mais qu’importe, la parade fut de lire à la nuit tombée, quand les ombres de la nuit écrasent cette résistance forcenée et ouvrent les portes du rêve.
 
Du côté de l’histoire, c’est un peu plus classique si l’on puis dire. Le résumé l’indique bien, on est dans un conte initiatique, qui verra le héros s’émanciper de sa tutrice pour chevaucher librement les steppes sauvages de l’amour. On retrouve de même ce thème de la différence à l’enfance, peu étonnant mais traité sans trop d’appesantissement. La découverte de l’amour et ses tourments sont évidemment le moteur de l’histoire, que Mathias Malzieu s’approprie plutôt aisément. Pour parvenir à ses fins il introduit le personnage mythique de Georges Méliès, qui sera un soutient essentiel dans la quête de Little Jack. Le père des effets spéciaux nous est présenté comme un homme excentrique au coeur tendre, cette dernière composante demeurant caractéristique de la plupart des personnages rencontrés. Quoiqu’il en soit, on s’attache facilement à la plupart des membres de cette galerie bigarrée.
 
Bref, La Mécanique du coeur est un excellent conte, autant pour les petits bouts de choux que pour leurs aînés. Mais quitte à finir sur une note mercantile dissonante, je pousse tout de même un léger coup de gueule sur le prix du livre : 6,50€ pour les 150 pages en format poche me semble plutôt exagéré. Mais allez, ne soyons pas rabat-joie et suivez plutôt mon conseil : lorsque la nuit s’affale sur nos pauvres cervelles endolories par une dure journée, qu’elle lance ses hordes de démons obscurs à l’assaut des barrières de notre conscience, ouvrez ce livre et plongez y votre personne ou vos enfants si vous en avez, vous m’en direz des nouvelles.