Lors de la parution de son diptyque révélateur, Le Livre de toutes les heures, Hal Duncan avait défrayé la chronique, qui, dans l’ensemble, ne tarissait pas d’éloges sur l’auteur, tout en taxant les bouquins d’ovnis littéraires. Je profitais donc de la parution de son dernier-né, Evadés de l’Enfer, pour découvrir enfin cet auteur que j’attendais frileusement.
Les premières pages du roman pourraient bien être déroutantes si le sujet n’était clairement énoncé dans le titre ; l’auteur s’attarde en effet à faire mourir ses protagonistes, la mort demeurant encore le plus sûr moyen d’atteindre les portes mystiques de l’au-delà. C’est l’occasion de faire connaissance avec Eli, un clochard au bout du rouleau, qui n’est pas sans rappeler le prophète évoqué dans l’ancien testament, de par son patronyme et sa connaissance des écrits bibliques, officiels et apocryphes. Seven, quant à lui, n’est clairement pas un enfant de chœur ; il se ferait plutôt l’exécuteur des œuvres de Satan par sa pratique chronique du meurtre commandité. Tueur implacable et débrouillard, il se verra cependant envoyé ad patres, ou pas. Dans un autre registre, c’est en qualité de prostituée que Belle sera vouée aux tourments éternels, aidée en cela par son mac qu’elle tentait de fuir. D’un caractère parfois farouche et impertinent, elle sera bien la seule de la troupe à contenir en partie Seven. Le dernier trublion invité à la fête se nomme Matthew, un jeune homme effacé, décédé suite à une agression particulièrement sauvage.
Tout ce beau monde se retrouve alors embarqué sur un ferry des plus étranges, qui se meut sans encombre sur le Styx vers sa destination finale, l’enfer. Comme le spécifie le quatrième de couverture, ce lieu de souffrances fait diablement penser à la mégapole de New-York, revisitée cependant pour la circonstance. Les pécheurs de faible envergure comptent pour une bonne partie de la démographie infernale ; les autres, les criminels devant l’Eternel, seront envoyés à l’Institut, un centre de redressement dans lequel les coupables seront confrontés à des peines rappelant directement leurs crimes. Cependant, la torture quotidienne n’est pas du goût de Seven, qui décide un beau jour de rompre ses chaînes et de prendre la poudre d’escampette, emportant dans son sillage dévastateur Belle, Matthew, Eli, et une bonne tripotée de cadavres.
Avec à peine plus de deux cents pages, Evadés de l’Enfer se veut court, mais la ribambelle d’événements et de retournements cadencent le rythme avec intensité, pendant que les gunfights et les cadavres battent la mesure. Oui ça bastonne grave, ça dézingue à tout va, on se croirait presque dans un film d’action dopé aux amphétamines. En ce sens le personnage de Seven assure son rôle, c’est bien le déclencheur de toute cette tuerie, les flingues et autres pétoires perfectionnées semblent être les prolongements naturels de ses mains. Pas de grands discours ni de grandes phrases, on fonce le plus souvent droit au massacre, un carnage qui se conclue dans un grand bordel avec quelques « guest stars » logiquement bienvenues. Le style n’est certainement pas étranger à ce torrent de violence déchaînée ; Hal Duncan combine des décors épurés et un bagout relâché à des plans cinématographiques.
Cependant, le roman n’est pas un simple ramassis de scènes explosives, c’est avant tout une charge contre nos sociétés occidentales, et dans une moindre mesure contre la religion. L’antichambre de l’enfer donne le ton, les nouveaux arrivants sont confrontés à une bureaucratie pointilleuse qui les catégorise avec soin. L’inégalité même dans la mort. Il transparait dès lors, de manière souvent explicite, les attaques de Duncan envers nos sociétés. Dans ces conditions, il est aisé de reconnaître en ce groupe d’évadés l’allégorie des opposants au « système », cherchant par tous les moyens à s’en émanciper. Rien de nouveau à l’Ouest, pourrait-on dire, d’autant plus que le théâtre de l’enfer semble créé avant tout pour les besoins de cette diatribe, bien que le message puisse paraître percutant en regard du caractère énergique qui se dégage du livre. On retiendra cependant quelques bonnes idées, comme celles des Oubliés, ces clochards invisibles aux yeux de tous, exception faite de l’attention télévisuelle. Quant au couplet antireligieux, qui s’invite vers les deux tiers, il m’est apparu sympathique, certainement en raison de mon inaccoutumance à ce genre d’incrimination. Je ne serais néanmoins pas surpris d’avoir loupé quelques passages en cours de route, les lectures bibliques n’étant pas mon fort.
Au final, Evadés de l’Enfer est un roman qui se lit sans déplaisir et qui s’amuse à flinguer nos neurones lors des courses poursuites endiablées. On regrettera cependant que le propos critique soit à ce point mis en avant, ce dernier enfonçant allègrement des portes ouvertes ; un second degré persistant n’aurait pas été désagréable, de même qu’un enfer plus déluré. Pour ma part, j’ai bien envie de découvrir Duncan avec son diptyque.
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