mercredi 17 août 2011

Oussama - Norman Spinrad

Désireux d’explorer plus en avant l’uchronie, mais poussé de facto par ma participation au challenge Winter Time Travel organisé par Lhisbei, c’est presque naturellement que je me suis rué sur le dernier né de Norman Spinrad, Oussama, qui me faisait de l’œil avec insistance depuis quelques temps. Il semble cependant que l’uchronie ne soit pas ici clairement établie, le point de divergence vis-à-vis de l’Histoire n’étant pas mentionné ; le futur fictif qui sert de cadre au roman prend vraisemblablement ses racines dans des événements antérieurs à notre époque, tels que le 11 Septembre, pour les prolonger au-delà. Je ne peux cependant me répandre qu’en ces quelques conjectures, le livre m’étant tombé des mains après 250 pages.


L’ouvrage se présente sous la forme de mémoires, rédigées par un certain Oussama, dont le prénom doit sa provenance à Oussama Ben Laden et aux fils d’Oussama, une organisation qui est parvenue à recomposer en partie le Califat, conglomérat de pays d’obédience musulmane au gouvernement commun. Originaire du Califat, Oussama est envoyé en France, en qualité d’agent secret, chargé d’une mission sans but précis : s’intégrer à la société française sans bien sûr que ne soit découverte sa réelle appartenance. Isolé du reste du monde dans son enfance et son adolescence, très peu au fait des mœurs occidentales malgré les films hollywoodiens piratés, le jeune agent secret, de vingt ans à peine, se heurtera de front aux coutumes de la capitale, et sera plus encore déstabilisé au contact de son chef de cellule, rompant d’après lui avec les préceptes de l’Islam. Mais rapidement, il prendra conscience des profondes divergences entre ce qui lui a été inculqué dans un environnement hermétique, et les aspirations des musulmans étrangers au Califat.
 
Puis, devenant malgré lui chef d’un gang local, il sera par la suite d’une opération couronnée d’insuccès obligé de quitter Paris et dissimuler son identité pour préserver sa vie menacée par ses chefs eux-mêmes. Ce périple le mènera sur la voie du saint pèlerinage, le hadj, qui affermira sa volonté de djihadiste. Il passera ainsi de la Mecque au Nigéria, livrer bataille au Grand Satan, lequel soutient une peuplade locale dans un intérêt que l’on devine être lié au pétrole.
 
Vous l’avez certainement compris, Oussama n’est pas un roman que l’on pourrait taxer de conventionnel. En effet, Norman Spinrad aborde ici un sujet rarement abordé, voire pas du tout, celui du terrorisme. Cependant l’auteur ne n’y essaie pas n’importe comment, et ose décrire de l’intérieur, presque de manière intime, l’élaboration d’une cellule terroriste et la formation de la réputation d’une légende clandestine. Cette trame principale est également l’axe qu’emprunte Spinrad pour placer ses piques envers le sectarisme religieux, les déclarations politiques, et une critique non voilée (pourtant impudique dans ce contexte) des agissements occidentaux, notamment américains. Si l’initiative, anticonformiste, est à saluer, la réalisation se montre à mon goût bien trop décevante sur de nombreux points, au point qu’il m’aura fallu stopper en plein milieu de l’ouvrage. Etant donné le peu de bien que j’ai à dire de l’ouvrage, je me permets de commencer par les aspects positifs.
 
Si je dois retenir un élément marquant d’Oussama, c’est bien l’hétérogénéité du monde musulman, qu’il n’y a pas qu’un Islam, imposé par les autorités théologiques, mais bien divers courants qui se heurtent brutalement. Loin du front uni et sanguinaire que les médias bâtissent, on s’aperçoit d’autant plus que l’Islam n’est pas cette croyance fanatique, apostolique, que l’on assimile malgré nous devant les parodies de journaux télévisés. Tout comme les chrétiens possèdent leurs propres divergences, citons en vrac les catholiques, orthodoxes, luthériens et calvinistes, il existe diverses interprétations de l’Islam, et d’autant plus tolérantes qu’elles s’éloignent d’une autorité religieuse. Le pèlerinage à La Mecque se montre à ce sujet riche d’enseignements, et délivre un réel message de paix ; il permet également d’approfondir la connaissance de ce rituel, que tout musulman est censé accomplir une fois dans sa vie ; le hadj apparait comme un instant unifiant tous les musulmans. Passage cependant à double tranchant, car Spinrad semble insinuer, lors de l’épisode au Jamarat, que ce rituel peut, si ce n’est conduire, du moins conforter dans l’intolérance menant sur le chemin du djihad dans l’effervescence du moment. L’interrogation sur la nature du djihad et sur l’ennemi à combattre ne manque pas non plus d’intérêt, mais là encore il fut trop peu dit pour que je persévère dans ces questionnements.
 
Voici donc ce pourquoi je ne regrette pas avoir lu ce roman. Passons maintenant aux points qui fâchent. Ce qui d’emblée m’a choqué fut la prose de Spinrad. Mauvaise traduction ou plus simplement mauvaise inspiration, j’ai trouvé l’écriture juste imbuvable. La combinaison du passé composé avec l’imparfait m’avait pour cette raison fait rejeter Spin, mais on est de surcroit soumis à une écriture dépourvue de tout rythme. En plus d’abandonner tout lyrisme, la plume se montre molle et langoureuse, et il devient difficile d’accrocher par ce biais à la trame. Cette dernière aussi se montre peu pêchue, faisant preuve d’une linéarité soporifique. D’un bout à l’autre de ma lecture, j’ai eu l’impression d’être trimballé au gré d’événements sans accrocs, sans tension, et même les batailles n’ont pu me tirer de ma torpeur. A propos, il convient de souligner le plan très candide d’Oussama, qui malgré la masse de personnes mobilisées s’effectue dans la perfection la plus totale. On sent une certaine faiblesse sur ce point, car le retournement d’opinion, sur lequel repose l’exécution de ce plan, est détaillé très succinctement alors qu’on en attendait plus. Sur la gestion de l’histoire, il ressort au final une impression paradoxale : celle d’assister à des longueurs tout en se voyant sevré d’explications désirées.
 
La psychologie des personnages aura également eu un impact important sur mon ressenti, car du début à la fin il m’aura semblé être confronté à des coquilles creuses, tant chez les acteurs externes que chez le héros, en dépit même de l’écriture à la première personne ! Derrière ces façades se dissimule en réalité la volonté de l’auteur de montrer ses personnages subissant les événements plutôt qu’ayant prise sur eux ; mais hélas ! cette accentuation s’effectue au détriment du lecteur, qui ne voit face à lui que morosité céphalique. On pestera également contre le nivellement par le bas, consistant à faire paraitre les acteurs moins intelligents que le héros afin de le glorifier plus aisément.
 
Au final, Oussama ne m’aura pas convaincu, et je trouve assez dommageable que ces points formels m’aient rebuté à ce point car je suis sûr que le reste de l’ouvrage avait encore à m’offrir. Cependant à ce stade je reste tout de même sur ma faim en ce qui concerne la critique des puissances occidentales, les attaques n’étant que de simples piques sans réelle consistance, ou alors rabâchées comme la guerre  au Nigéria faisant écho aux deux guerres en Irak. Il manque aussi un certain approfondissement dans l’étude de l’engrenage terroriste, de même que l’interrogation sur les délimitations du stade de terrorisme.
 
 
Norman Spinrad, Fayard, 2010, 480 pages
  

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