Après Alice au pays des merveilles, je récidive dans ma découverte de l’œuvre de Lewis Carroll avec De l’autre côté du miroir, suite officieuse de son aîné, éclipsée de manière tout aussi injuste par ce même aîné en regard de sa qualité. En effet, il est à noter que si personne ou presque n’ignore l’existence d’Alice au pays des merveilles, peu de monde en revanche est au fait de l’existence de sa suite, ne serait-ce que de nom. Et c’est bien dommage car, autant l’avouer d’entrée, j’ai préféré De l’autre côté du miroir aux premières aventures de l’héroïne.
Lors d’une après-midi ennuyeuse, Alice se met à rêver d’un autre monde qui se trouverait de l’autre côté du miroir du salon. Tandis qu’elle se perd en conjectures sur ce monde étranger, le miroir se transforme en brume, lui permettant de franchir allègrement la frontière. Une vue d’ensemble lui permettra de découvrir la nature de cet univers, un échiquier géant composé de cases de terrain sur lequel se déroule une partie d’échecs. Avec l’approbation de la Reine Rouge, Alice prendra part à la dite partie, incarnant par là même un pion chargé d’atteindre l’ultime case de sa colonne, accédant ainsi au couronnement. Cependant le périple ne sera pas de tout repos, Alice sera confrontée aux bizarreries de cet univers loufoque dont les règles lui échappent définitivement.
Une fois encore, tout est prétexte à Lewis Carroll pour donner libre cours à son imagination ; le postulat n’est qu’une vague excuse pour nous emmener à la découverte de ce monde farfelu où la logique déraille. On sera dès lors confronté à moult phénomènes défiant le bon sens, comme des fleurs qui parlent, des articles de magasin qui s’enfuient ou encore un œuf gigantesque, et la liste est loin d’être exhaustive ; ceci n’est qu’un vulgaire catalogue réduit du non-sens mirliflore qui s’étale dans ce livre. De cet absurde souffle un vent de fraîcheur réconfortant, les trouvailles sont si simples qu’elles nous enveloppent dans un cocon enfantin et naïf qu’on ne quitte qu’au réveil d’Alice.
Le personnage d’Alice évolue également. Si l’on retrouve la gamine du volet précédent, elle semble avoir (très) légèrement mûri tout en conservant son âme d’enfant. Ce changement semble trahir avant tout le comportement de la muse de Carroll, qui, ne l’oublions pas, a grandi entre les aventures du pays des merveilles et celles-ci. Elle expérimente ainsi la frustration, à de nombreuses reprises, et ne réagit plus si sottement qu’auparavant, ce qui ne manquera pas d’en réconforter plus d’un. Le personnage d’Alice est aussi une invitation à la rêverie, à l’exploration de territoires inconnus, c’est d’elle que naît le désir d’évasion, c’est elle qui insistera pour continuer ce voyage absurde en dépit des obstacles. Dès l’entame, avant même de traverser le miroir, on voit Alice inventer des histoires abracadabrantes en compagnie de ses chats, l’enfant est le siège de la rêverie et, contrairement à ce qu’opposera plus tard la Reine Rouge, les enfants ne sont pas faits pour « raconter des choses » [sensées], ce livre en est bien la preuve.
Du côté formel, on trouvera quelques situations fortement cocasses et dénuées du moindre sens, et l’humour percutant se joue avec brio de la langue anglaise (soulignons à cet effet le travail sur la traduction française, obligée de réinventer certains passages pour coller à l’humour carrollien). On rencontrera beaucoup de monde en chemin, de manière toujours effrénée il arrive que l’on passe littéralement sans transition d’une scène à une autre, Alice se retrouvant de manière inconnue à un endroit différent. Les poèmes et les chants sont également de la partie, mais se montrent moins envahissants que dans l’opus précédent, ce qui n’est pas sans effet sur mon ressenti global, bien que ces derniers m’apparaissent plus sympathiques.
Somme toute, c’est un excellent conte que voici. Plus enchanteur que son aîné d’après moi, c’est incontestablement un livre à côté duquel ne pas passer, d’autant plus que le récit est, là encore, (trop) rapidement expédié.
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