mardi 9 août 2011

Enfer sur mesure - Richard Matheson

Richard Matheson est un écrivain de science-fiction et de fantastique qui n'est plus à présenter. Pour les moins versés dans le genre, citons seulement son oeuvre phare Je suis une légende, dénaturé au cinéma pour coller aux carcans hollywoodiens. Enfer sur mesure est un recueil de cinq de ses nouvelles, qui ont pour dénominateur commun de traiter de l'Art. A vrai dire, j'ignorais tout de ce recueil avant qu'on impose cette lecture à ma soeur pour le lycée, et il est agréable de constater qu'on donne des lectures de la sorte aux gamins, même si la majorité aura besoin d'un décodage pour en comprendre la portée.


Effectivement, ces cinq nouvelles peuvent être considérées comme des apologues, à plusieurs degrés de lecture pour certaines. Mais le mieux reste d'en parler au cas par cas, car Matheson traite de l'Art de diverses manières.
 
La première nouvelle, qui donne son titre au recueil, met en scène une scène de famille légèrement décalée. Un vieillard dans son lit est entouré de sa famille et de son médecin, et se plaint bruyamment qu'on veuille l'assassiner. Dénégation évidente de l'autre camp, ponctués d'échanges truculents par moment en raison du dédain marqué de l'ancêtre. Si l'on y regarde de plus près, on constate que c'est la condition de l'artiste qui est exposée. Le mourant est un poète, doublé d'un sémanticien, qui se voit accablé par la société entière, poussé au trépas avec une absence totale de remords. Quant à l'enfer où atterrit l'artiste, il met en relief l'angoisse d'un monde où les mots n'ont plus de sens réel (n'oublions pas, le vieux est sémanticien), où règne le conformisme.
 
Tout de suite, l'ouvrage embraye avec Avis à la population. Il est question cette fois-ci d'une lettre d'un écrivain de SF à son agent, où il lui explique les raisons pour lesquelles il ne peut plus pratiquer son art. L'explication tient au fait que ses écrits sur les martiens prennent corps dans le monde. Le thème de l'histoire qui prend vie n'est pas nouveau, mais en le transposant à la science-fiction Matheson lui donne un nouveau souffle en soulignant la portée de l'anticipation.
 
On en arrive à la nouvelle la plus courte, Cycle de survie, qui trompe le lecteur en lui faisant croire que l'on suit le parcours d'une nouvelle, de sa création à sa lecture. En vérité, c'est le cheminement de l'inspiration qui nous est décrit, de manière fort surprenante qui plus est.
 
Quant à la quatrième nouvelle, Mantage, c'est celle qui risque d'en rebuter plus d'un. La lecture n'est pas des plus évidentes, mais la forme sert à merveille le fond. En effet, un jeune écrivain, lassé par les procédés cinématographiques, fait le souhait saugrenu que sa vie se déroule de la même manière, éclipse les mauvais instants pour ne garder que les meilleurs. Dès lors, sa vie nous sera racontée sous forme de flashes, et la narration parvient avec brio à transposer à l'écrit le concept de scènes sans transition. Cette transposition du cinéma à l'écrit est originale, puisqu'elle met en exergue les codes du média originel avec lesquels Matheson s'amuse habilement –mais peut-être n'était-ce pas le but. De plus, cette nouvelle recèle plusieurs niveaux de lecture. Le temps qui passe, trop vite, est bien entendu présent ; mais c'est surtout pour souligner le caractère étrange du protagoniste, qui a conscience de sa situation. Le personnage de fiction s'interroge sur sa condition vis-à-vis de l'histoire, et se demande s'il peut influer sur ses actes. Mais, à mesure que défile sa vie, il cesse de douter de son état pour en obtenir la révélation finale.
 
Le problème de l'existence d'un personnage de fiction se pose également dans la nouvelle suivante, Je suis là à attendre, en abordant cette fois-ci le point de vue de l'écrivain. Un homme va s'expliquer avec le mari de sa soeur, qui est accusé de la tromper, et se rendra compte de la manière étonnante dont ce dernier est infidèle. C'est là un récit qui montre la puissance imaginative de l'écrivain, mais aussi son danger, une perte de repères avec la réalité. Si la tension dramatique est croissante, la chute est quant à elle un peu trop prévisible.
 
Finalement, ce fut une lecture assez rapide, et agréable dans l'ensemble, en dépit d'un style un peu daté. Matheson ne manque pas d'humour, et ce dernier frappe d'autant plus qu'il se conjugue avec le fantastique qui émane des récits. La condition de l'artiste est donc traitée sous plusieurs angles, et rendue plus attractive grâce à une mise en abîme souvent convaincante. D'un point de vue qualitatif, l'ensemble est assez homogène et mérite que l'on y fasse un détour.

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