dimanche 30 octobre 2011

Dark City

Je suis tombé sur Dark City à moitié par hasard. Etant donné la maigreur de ma culture cinématographique version SF, je m’étais dit qu’il était grand temps de remédier à cela en me matant au moins quelques uns des classiques du genre. Une petite requête google plus tard, et me voici sur la page wikipédia donnant le classement OFCS des meilleurs longs métrages. Je jette quand même un oeil et je suis rassuré de voir de voir que j’en connais quelques uns dans le lot, et même que j’en ai vus. Un peu au hasard, je pioche dans la liste, et ce soir c’est Dark City, un choix loin d'être mauvais.




Une baignoire. Un homme, une goutte de sang sur le front. Amnésique. Allongé dans le bain. Une lampe au plafond qui balance sa lumière de manière inquiétante. Des fringues juste à côté. Et le téléphone sonne. Un inconnu au bout du fil raconte à cet homme qu’il est recherché, qu’ils le traquent. Et c’est le début de la fuite. Contre des inconnus au teint blême, d’inquiétants étrangers, et contre la police, notamment l’inspecteur Bumstead. Sans oublier sa femme, Emma, ni le docteur Schreber, qui semble en savoir pas mal sur toute cette affaire, mystérieuse, qui amène J. Murdoch à rechercher son passé dans une course contre les forces blêmes, ces inconnus qui ne reculent devant rien pour retrouver sa trace, qui possèdent le pouvoir d’harmoniser et qu’ils redoutent de trouver en lui. Quant à Murdoch qui court après son passé, il trouvera des réponses bien étonnantes.

Dark City happe le spectateur dès les premiers instants. Décors soignés, mise en scène aux petits oignons, on n’a aucun mal à s’immerger dans l’ambiance steampunk qui gardera toute sa saveur le long du film. Les bagnoles de la vie moderne se mêlent aux engrenages – discrets – des horloges omniprésentes ; l’architecture reprend les codes des années 30, inspiration identique pour son homologue vestimentaire. Et la bande son fait un boulot monstre, clairement, c’est une des réussites du film, préservant ce sentiment de mystère et d’angoisse jusqu’à la fin. Félicitons aussi les cameramen qui se donnent du mal pour nous placer au coeur de l’action, et il ne reste plus qu’à congratuler les acteurs. Je commencerai par Jennifer Connelly. Cette fille est sublime, incroyablement sublime, elle donne au personnage d’Emma une telle densité rien qu’avec un masque, une expression, qui confèrent à son personnage une force intérieure en proie à une angoisse sous-jacente, le tout baignant dans une certaine sensualité. Et le vert qui relève ses yeux lui va à ravir ! William Hurt, aux commandes de l’inspecteur Bumstead, n’est pas non plus à la traîne en matière d’élégance, il arbore la plupart du temps un costume trois pièces sobre mais efficace qui contribue à l’établissement de son personnage solitaire, dur, persévérant, mais humain et compréhensif. Quant à Rufus Sewell, il restitue aisément un John Murdoch amnésique et pommé, avec ses yeux écarquillés et son air paniqué. On n’a aucun mal à l’imaginer traqué par de mystérieux hommes à la blancheur cendrée.

Le scénario a le mérite de tenir la route. On a beau me chambrer dans mon entourage pour chercher la petite bête, ici je n’ai rien relevé de choquant, même en me harcelant de questions (étais-je donc trop fatigué ?). Avec son amorce somme toute classique – l’amnésique est devenu un attrape nigaud depuis le temps -, l’histoire parvient tout de même à nous emmener sur les traces d’une vérité insidieuse, qu’elle fait planer au fil du temps sur le film, laissant le spectateur élaborer ses propres déductions sur ce qui se trame en ville. Et bien qu’on parle de SF le fantastique n’est pas toujours loin, avec cette histoire d’harmonisation. Il est pourtant dommage que la fin soit à ce point conventionnelle, car peu d’éléments dans le film méritent d’être taxés tels quels. Effectivement, on tombe dans le piège de ce que j’appelle du Dragon Ball Z escalation, qui consiste à augmenter la puissance des combattants sans se soucier de leur intelligence : à bourriner et à faire dans la testostérone pure et dure en gros.

Finalement le film vaut plus par son ambiance et par son traitement à la manière d’un thriller que par son histoire à proprement parler. Si la trame demeure la plupart du temps intéressante et rendue aguichante par un suspens savamment distillé, on regrettera que l’idée sur laquelle repose la ville ne soit peu creusée plus profondément, de même qu’une fin à la hauteur du reste du film, qui avait su ménager de bonne surprises scénaristiques. Mais ne passez pas à côté de Dark City, encore plus si vous êtes amateur de SF, vous risqueriez de louper un très agréable moment.


Ah la la ! Irrésistible en chanteuse de jazz !

vendredi 28 octobre 2011

L'Ame du Kyudo - Hiroshi Hirata

Une fois de plus, Hiroshi Hirata nous sert un gekiga nerveux et exigeant. Je spécifie exigeant, car il n'est pas forcément évident de se plonger dans la lecture, et ce facteur m'aura poussé à repousser pour quelques instants le sommeil tapi en embuscade.


En effet, ce gekiga demande un investissement de la part du lecteur. Ce n'est pas une simple lecture banale, que l'on pose et l'on reprend quand on le souhaite. Tout du moins est-ce mon sentiment. Les quelques interruptions inopportunes m'auront demandé un léger effort pour me remettre dans l'ambiance.

Mais quelle ambiance ? Eh bien c'est simple, nous suivons la vie spartiate d'un jeune homme qui veut obtenir le titre de "Premier sous le ciel". Nous suivons pas à pas son entrainement rude et intense. Il se dégage alors du titre une saveur pierreuse, rêche, tel l'entrainement draconien auquel est soumis Kanza. Sa détermination est parfois fascinante à contempler, et c'est là que réside le talent d'Hirata : nous faire ressentir la dureté de l'entrainement, de manière adulte et virile, comme le monde dans lequel évolue le héros.

Si vous l'ignoriez encore - ce dont on pourrait difficilement vous blâmer -, l'histoire de l'épreuve du Toshiya commence au début du XVIIème siècle, juste après l'établissement de l'ère d'Edo. Sans qu'aucune date ne soit réellement avancée quant à l'évolution du temps (seule l'insurrection de Shimbara permet de situer vaguement la date), j'en ai sommairement déduit que les aventures de Kenza débutent une quarantaine ou cinquantaine d'années après le commencement de l'épreuve, qui consiste à décocher le plus de flèches qui traverseront l'auvent d'un temple de 120 mètres de longueur. Cette épreuve deviendra, au fil du temps - et en temps de paix -, le symbole représentatif de la puissance de chaque clan, qui cherche par tous les moyens à obtenir et conserver le titre tant convoité de "Premier sous le ciel".

C'est précisément cet acharnement qu'Hiroshi Hirata s'attache à dénoncer (il le dit explicitement en commentaire, à la fin). En suivant le parcours de Kanza, dont la vie est exclusivement dédiée à son art, l'auteur montre sans voile la rudesse de l'existence de ces hommes, sacrifiés sur l'autel de la gloriole. Sacrifiés est en effet le bon terme. Parce qu'en cas d'échec, l'honneur du clan étant sali par l'insuccès de l'archer, ce dernier le lave de son sang. Mais gare à ne pas tomber dans la critique facile. Les codes de l'époque nous paraissent peut-être barbares vu quelques siècles plus tard, mais juger des moeurs passées est, à mon humble avis, sans valeur puisque bien des siècles et évolutions nous séparent des codes qui nous parviennent. Tout au plus peut-on essayer de les comprendre, et alors on s'aperçoit que la vie n'est pas une valeur sacrée dans ce monde viril. Seule la puissance affichée et l'honneur comptent, et la vie n'est préservée que lorsqu'elle est utile. Je pense ici aux différents clans qui ont arrêté le "jeu", estimant que la perte d'officiers de valeur ne valait pas le prix payé en cas d'échec. Ainsi, cette vision est plus nuancée que celle des deux grands fiefs qui s'opposent, les Owari et les Kii.

Malgré les qualités citées plus haut, j'ai quelques reproches à faire. Ponctuellement, quelques éléments mineurs viennent gâcher le récit. Le premier exemple qui vient à l'esprit est celui de l'homme qui professe à Kanza, en observant seulement son visage, qu'il battra le record du Toshiya. J'ai noté d'autres détails peu représentatifs de la qualité globale, et c'est pourquoi je ne m'escrimerai pas à les retrouver.

Un dernier mot sur le dessin. Lu après L'Incident de Sakai et autres récits guerriers, je m'attendais à retrouver l'empreinte grasse du trait d'Hirata. Mais non, l'auteur a visiblement décidé d'affiner son encrage, et propose un dessin toujours aussi fluide et dynamique. La colère des personnages transpire du papier, leur dédain se matérialise, et le tout forme un ensemble très réaliste. Les postures des personnages sont vraiment magnifiques, et certaines planches semblent avoir suspendu le temps dans son mouvement, notamment dans les postures assises des tireurs. Ajoutez à cela un rendu des bâtiments superbement travaillé, c'est un vrai régal que nous avons là.

Bref, j'ai vraiment apprécié cette longue incursion dans le temps. On y découvre un monde dur, cruel parfois, avec une philosophie complètement éloignée de la notre (mais qui confirme l'idée du Japon que je me faisais du temps des samuraïs). L'illustration de la vie de Kanza, est un réquisitoire contre la bêtise des puissants de ce temps, dont certains étaient les ancêtres de l'auteur, que ce dernier exècre pour leurs actes. On découvre d'ailleurs à la fin qu'il demande le pardon au nom de ses ancêtres, pour toutes les vies qu'ils sont ruinées et sacrifiées.