jeudi 25 août 2011

Le Diapason des mots et des misères - Jérôme Noirez

M’attirer vers un livre de fantasy n’est pas chose aisée, il me faut des arguments solides et un prescripteur de confiance. Pourquoi cette méfiance envers ce genre ? Pour la simple raison qu’il est aujourd’hui surchargé, inondé, de l’avis même des éditeurs. Les stéréotypes foisonnent plus que partout ailleurs et l’innovation se fait rare, c’est pourquoi un auteur comme Jérôme Noirez est précieux. Son Diapason des mots et des misères fut donc une surprise totale et parfois brutale, transpirant l’originalité et la noirceur autant par le style que par le propos. Quoique la classification fantasy ne soit pas totalement exacte, on fleurte beaucoup plus avec le merveilleux.


D'habitude la signification d'un titre m'indiffère autant qu'un fibrome de Madonna, mais je dois reconnaitre que celui-ci m'a interpellé.  Le Diapason des mots et des misères, un joli titre qui présente de manière élégante le bonbon noirci et l'enrobage chatoyant.
 
Cependant, malgré toutes les qualités de ce recueil, je doute avoir fait un choix des plus pertinents en m'y intéressant au sortir de Tolstoï. La plume sobre mais d’une rare prestance de l’écrivain russe contraste fortement avec l’embrasement perpétuel du français, et s’il est possible de lire et comprendre Tolstoï dans un état un peu moins que cadavérique, n’escomptez pas apprécier votre lecture de Noirez dans les mêmes conditions. Ce foisonnement erpétuel recèle un prix finalement peu élevé en regard du plaisir procuré, une attention de tous les instants pour espérer pénétrer dans ce saint lieu de l’Imaginaire. Le sillage fuyant de la plume acérée nous arrache au monde livide et pâle, nous propulse dans les limbes abyssales d’un esprit tortueux aux rêves enfiévrés ; à coup de virgules travaillées la plume dicte son rythme endiablé pendant que les tournures sublimées enserrent le lecteur de tous les côtés, le laissant pantois devant tant de virtuosité. Et si d’aventure l’encre rétive s’éprend d’un argot dérangeant, là encore le plaisir persiste.
 
D’après Catherine Dufour, qui signe la postface du recueil, la noirceur habituelle de l’auteur est ici condensée, exacerbée, comme si la contraction des pages en avait retranché toute la gaieté : les enfants ne véhiculent pas la joie de vivre, ils attendent dans l’angoisse la mort qui viendra les délivrer d’aïeuls leur reprochant d’être nés ; il n’y a pas de forêts luxuriantes - à une exception près -, mais de vieilles bâtisses croulantes aux murs lépreux. La nuit tombée, Prague n’est plus qu’une banquise fendillée de façades éparses, hantée par l’écho des Skoptzy et leurs gardiens inquiétants. Les jeunes lecteurs ne sont pas oubliés, l'auteur leur concocte trois nouvelles – disposées à la fin – qui sauront les effrayer. Si Shirley's Doll et La Leçon de piano (dans le style de Balthus) n'ont pas tellement retenu mon attention, c'est sans conteste L'Enfer des enfants pas sages qui les torturera, tout comme il l'a fait avec moi.
 
Néanmoins le sieur Noirez sait, entre deux nouvelles funestes, nous remonter le moral avec un humour décapant. La Grande nécrose en est un bon exemple avec son histoire de zombie loufoque où se mêle un peu de policier qui ne l'est pas moins, mais c'est notamment avec L'Apocalypse selon Huxley, où l'on suit quelques potes complètement déglingués prompts à la défonce, embarqués dans un trip foireux aux states, que l'auteur se montre sous un excellent jour. Il semble d'ailleurs que cette nouvelle ait remporté le prix de la meilleure nouvelle au GPI 2010. Feverish Train se montre également un digne représentant de l'humour noirezien, avec son train de tous les dangers et ses voyageurs atypiques.
 
Du recueil je retiens également la première nouvelle, 7, impasse des Mirages, qui raconte le retour au pays d'un père et son fils après l'explosion d'un puits de pétrole. Le récit, qui débute sur une note autobiographique – ou du moins qui s’en rapproche fortement –, bascule lentement dans le merveilleux. Et pour rester dans mes préférences, j’évoquerai Stati d’animo, qui met en scène un futuriste traquant un homme jusque chez lui, course poursuite retransmise en direct durant laquelle on a tout le loisir de haïr cet homme. Le procédé de narration, indirect, offre une plongée dans l’horreur fichtrement réussie. Néanmoins, la nouvelle-titre du recueil, Le Diapason des mots et des misères, m’aura rebuté au point de passer outre la fin, et ce en dépit de sa relative brièveté. Cette histoire de fil et de communication se révèle bien trop absconse et tordue pour moi.
 
A travers ces récits transparait également l’amour de Jérôme Noirez pour la musique, puisqu’en plus de baser une nouvelle sur cette thématique (Késu, le gouffre sourd) et un recours notable au lexique musical, le compositeur s’invite le temps de quelques pages pour dédier une ode à l’une de ses héroïnes.
 
Quant à l’objet en lui-même, il se montre très satisfaisant. La qualité du papier et de la couverture affirment une impression de robustesse, et j’apprécie cet encart à la fin de l’ouvrage qui met en valeur l’illustrateur et d’autres acteurs peu mis en lumière autre part. D’autant plus que la couverture me plait beaucoup, et qu’un marque-page, représentant une partie de cette illustration, est gracieusement fourni avec le bouquin. Si vous souhaitez en découvrir un peu plus sur la maison d’édition, Griffe d’Encre, A.C de Haenne en a fait un article.
En bref, car tout a été dit, cette première incursion dans le monde de Jérôme Noirez s’est révélée surprenante, dans le sens primaire du terme. Un condensé de non-sens dérangeant par moments, des thèmes très peu visités, émaillés de certaines scènes choquantes, mais surtout ce style foisonnant  qui laisse peu de répit. Toutefois, je doute que ces textes soient la meilleure entame pour s’initier au monde de l’auteur, j’ai par moments eu du mal à distinguer l’aboutissement de tel récit.
 
                On voudrait en avoir, on voudrait croire qu’on en a, de distincts, de précis, mais il faut, lorsque le jour chavire, se rendre à l’évidence : les souvenirs de notre petite enfance nous échappent pour toujours. C’est une chose plus délétère, plus indicible, et si je devais la nommer, cette chose vague, cette demi-conscience, je l’appellerai souvenance : fragrance de souvenirs, rêve de souvenir, souvenir de souvenirs, une mémoire de salpêtre, encore que, du salpêtre, où je vis, je n’en vois jamais, car où je vis, c’est un monde sec. J’essaye toutefois, dans la pénombre d’un soir de printemps, aux senteurs de terre humide et de mimosa, de capturer des bribes de cette mémoire, de compléter cette esquisse tracée avec une baguette torve, en m’astreignant à ne pas mentir plus que nécessaire.
                La souvenance, c’est tout ce qui me reste de mes premières années qui font, lorsque je me retourne en moi-même, comme une flaque de chaleur mouillant le bitume d’une route rectiligne.
                  Finalement, je crains de devoir mentir un peu.
 
Le Diapason des mots et des misères - Jérôme Noirez - Griffe d'Encre 2009 - 240 pages

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire