samedi 20 août 2011

Le Maître du Haut Château - Philip K. Dick

Je continue à rattraper mon retard sur Philip Dick avec un autre de ses livres à succès, Le Maître du Haut Château. J’ai eu l’insigne audace de baser mon choix sur la réputation du roman, sans m’intéresser grandement à son contenu, ni même de prendre la peine de zieuter le quatrième de couverture, et c’est pourquoi j’ai eu la surprise d’aborder une uchronie au lieu des divagations palpitantes entre les couches de réalité. Je pense bien que c’est le premier ouvrage du genre que je lis, toujours est-il que conjecturer sur les aléas de l’orientation de l’Histoire me parait être une tâche inutile. Mais il est bien connu que seuls les imbéciles ne changent pas d’avis, et c’est pourquoi mon jugement se voit légèrement infléchi au sortir de ma lecture.

 
Les Alliés ont perdu la Seconde Guerre Mondiale, ce sont les japonais et les nazis qui émergent en tant que grands vainqueurs. Le monde est désormais bipolaire, de même que les Etats-Unis, occupés à l’Est par les nazis et à l’Ouest par les Japonais. En territoire nippon la situation est revenue à la normale, la paix et la prospérité règnent de nouveau. Un des apports majeurs des conquérants aux Etats-Unis est le Yi-King, livre cinq fois millénaire qui contenant la sagesse des anciens. Leur passion pour l’art américain du passé se développe également, permettant à des marchands comme Robert Childan d’en faire profession. Mais les faussaires ont eux aussi saisi leur chance, ils se mettent à envahir discrètement ce marché lucratif auquel certaines entreprises participent. C’est le cas de Frank Frink, qui se voit contraint du jour au lendemain de se lancer dans sa propre affaire de bijouterie en compagnie d’un collègue de travail (Dick a, pendant un temps, assisté sa femme qui tenait une bijouterie). Cependant, son statut de juif ne le met pas à l’abri des rafles nazies, en dépit de sa domiciliation en territoire nippon.
 
Cela préoccupe parfois sa femme, Juliana, qui ne peut toutefois rien y faire puisqu’elle-même est partie vivre recluse dans une lointaine bourgade. Il y rencontrera Joe, un ancien combattant italien, qui l’emmènera voyager jusqu’à Denver et l’amener devant l’homme du haut château, l’écrivain d’un livre interdit relatant la défaite de l’Axe et imaginant ses conséquences. Et puis il y a Mr Tagomi, directeur d’une des missions commerciales japonaises, confronté à cet énigmatique Mr Baynes qui attend dans l’impatience l’arrivée d’une tierce personne.
 
Si le résumé vous apparait confus c’est logique : Dick a construit ici un ouvrage très décousu du point de vue de la narration, chaque personnage vit sa vie sans dépendre des autres ; leurs destins ne se mêleront pas,  même lorsqu’on s’attend à une bifurcation du récit qui les réunirait. On alterne donc énormément entre les lieux et les situations, mais les multiples césures ne dérangent point. Loin de déranger, la multiplication des histoires permet à Dick d’élaborer posément son uchronie, de la rendre vivante et d’expliquer les contours de ce monde. Il expose avec assurance les déviances survenues et leurs conséquences, sans jamais noyer le lecteur sous une avalanche d’informations. On apprend ainsi la rivalité entre les deux blocs vainqueurs, qui n’est pas sans rappeler la situation d’après-guerre (le roman a été écrit en 1962), à la différence près que l’écart technologique est ici plus flagrant ; les nazis ont débuté la colonisation spatiale, tandis que les japonais n’ont pas encore acquit les méthodes idoines.
 
Dick nous renvoie à la réalité d’une manière encore plus subtile, par le truchement d’un livre prohibé en territoire nazi, La Sauterelle pèse lourd,  une uchronie qui relate une situation géopolitique bien plus proche de la nôtre. Cette mise en abyme magistrale permet à l’auteur de disserter sur le statut de l’uchronie, subtilement, éclairant son œuvre et ses motivations par le biais de l’écrivain fictif, auquel on se retrouve confronté à la fin, et qui nous enjoint à relire plus attentivement ces 300 pages. Car si Philip Dick remodèle le monde, c’est pour parler plus librement du sien, du « réel », si tant est qu’un terme tel que celui-ci soit applicable dans sa globalité à cet écrivain. Le Maître du Haut Château, en s’intéressant à la personne de Robert Childan, acquiert par moments une dimension sociologique. On constate en effet les conséquences de l’occupation japonaise sur le sol américain, l’importation de certaines coutumes et le ressenti des américains envers ces envahisseurs.
 
C’est pourquoi le Yi-King, le livre millénaire auquel se réfère pratiquement tout un chacun, est si souvent évoqué. Ce n’est pas seulement une victoire militaire, c’est aussi une invasion culturelle, où chacun, américain de souche ou émigré européen, s’en remet aux « préceptes des anciens » en territoire nippon. Le tao sera également la porte d’entrée d’un discours sur l’art contemporain, ce qu’il est et ce qu’il apporte.
 
On notera également un discours très peu manichéen, en général relevé,  en provenance des nazis ou de leurs défenseurs. Il semble cependant que l’ouvrage mérite une relecture, Dick spécifiant, comme je l’ai dit juste au-dessus, que son ouvrage s’inscrit dans son temps.
 
  C’est donc un ouvrage diablement intelligent que nous livre Philip Dick, d’une rare subtilité, et récompensé par le prestigieux prix Hugo en 1963. Néanmoins la plus grande partie de l’ouvrage n’a pas réussi à m’intéresser totalement, la critique envers les nazis n’étant pas ma tasse de thé. Il est donc probable que j’aie loupé quelques morceaux du début, ce qu’une relecture future m’offrira la possibilité de rectifier.

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