Ah Greg Egan, depuis le temps que je
voulais lire une de ses œuvres, et ce depuis qu’il fut le gagnant
du prix du regretté Cafard Cosmique ! Voilà c’est enfin
fait, et, comment dire, ce fut passionnant. Instructif. Eblouissant
même à certains moments. Commençons.
La première nouvelle donne le ton avec
une nouvelle qui surprend. Nous sommes dans la peau d’un
missionnaire à la recherche de camés qui, lorsqu’ils consomment
une certaine drogue, leur permet de faire s’entrechoquer des mondes
parallèles à l’endroit même où ils se trouvent. Croyez-moi
l’entrée en matière surprend, d’autant plus quand vous venez de
vous taper une séance de sport et que les hormones vont font filer
droit les mots et les pages, et que rien n’y personne ne peut
empêcher votre regard de s’attacher à la signification profonde
des mots qui défilent devant des yeux soumis au dictat d’un esprit
empressé. On y comprend tout de même qu’il est question
d’identité et d’intégrité, malgré les altérations possibles
d’un univers à un autre. L’identité, un thème repris très
souvent et de bien des manières par Egan, abondamment traité dans
Axiomatique. Le sujet pourrait aussi se prêter à la seconde
nouvelle, Lumière des événements, où l’on découvre un
monde recevant des informations du futur, sans pour autant être
capable de s’y rendre. L’information en provenance du futur étant
relativement chère, chacun n’est autorisé qu’à recevoir une
certaine somme de données, écrites, de leur vie future. Il doit à
son tour faire de même, raconter les événements de sa vie pour le
léguer à son soi du passé. Le procédé est soumis à validation.
Ici Egan met en évidence le rôle du destin et de la fatalité, et
dans un cadre plus général la manipulation consciente des médias
dans nos sociétés modernes.
La troisième nouvelle, Eugène,
est aussi riche d’instruction. Elle met en scène deux parents en
train de choisir les attributs physique de leur rejeton, et le
dilemme moral qui en résulte. Comme l’annonce le titre, c’est de
l’eugénisme génétique qu’il est question, et bien évidemment
Egan va loin, trop loin même à la fin. Mais peu importe,
l’important est bien là ; on ressent toute l’horreur et le
dépouillement de toute vie liée à l’eugénisme. Dans une autre
veine, Egan nous emmène à la rencontre d’une âme vagabonde,
changeant de corps comme de chemise à chaque fois qu’elle
s’endort. Sous les dehors du Coffre-fort,
se cache en réalité une réflexion profonde sur la formation de la
personnalité en dehors d’un milieu stable, tout en mettant en
exergue les capacités d’adaptation développées. La nouvelle
aurait pu demeurer anecdotique sans le talent du conteur.
En apprenant à être moi, puis
L’enlèvement, reviennent en orbite autour de l’identité,
et plongent en profondeur dans les troubles abysses de l’Humanité,
à la chasse de ces traits singuliers qui séparent l’Homme d’une
simple machine de Turing. Le résultat est vertigineux, effrayant,
dantesque, bref, Egan frappe fort. Dans ce marais ténébreux qu’est
la définition profonde et singulière de l’homme, son caractère
inaltérable et jusqu’à présent intranscriptible, Egan s’y
fraye un chemin lent et sinueux, mais toujours ferme et appuyé,
guidé par la flamme de sa plume.
La nouvelle la plus rafraichissante et
inattendue est La Caresse. On y suit un flic bien entraîné
qui, après avoir découvert un être hybride, mi-animal mi-humain,
se trouve capturé par un milliardaire mégalomane. Outre les
manipulations génétiques et la morale de tout ceci, il est en
réalité question du rapport à l’Art. S’il est bien un domaine
où je n’attendais pas un auteur de SF, c’est bien à ce niveau.
D’autant plus que la réflexion s’applique essentiellement à
l’art « visuel », c’est à dire la Peinture, mais
aussi au Théâtre ou au Septième Art. La symbiose entre un figurant
(au sens d’acteur ou modèle) et son rôle supposé dans l’œuvre,
est d’une richesse admirable, elle montre comment l’art, ou
illusion, et le réel se confrontent et s’entremêlent de manière
inextricable, et d’un certain côté tout le travail nécessaire à
la représentation d’un instant figé dans le temps, synergie de
vies illusoires inventées par l’artiste et que celui-ci révèle
au monde en une ultime gravure. Du Très Grand Art.
Sur la fin du recueil on trouve aussi
quelques nouvelles marquantes, comme La Douve, où la
xénophobie est évoquée, dont je me permets de citer un passage
clairvoyant juste après la conclusion, mais également un artifice
particulièrement monstrueux dans la nature de l’homme, voire de la
vie, dont je ne sais si nous devons nous réjouir ou nous inquiéter
à la mort. S’il existe, le débat fera certainement rage, et je
serais bien curieux d’assister à son déroulement.
Sans compter que La morale et le
virologue apparait peu après,
et celle-ci glace encore plus les chairs. Qu’arrive-t-il lorsque
extrémisme religieux et science se conjuguent ? Rien de bon
semble-t-il. Ce texte éclate définitivement les doutes à propos de
l’auteur, Greg Egan est le pire des salauds. Sa solution finale est
la plus morbide, la plus écœurante et la plus abjecte que j’aie
jamais entendue de ma vie, et je doute mais j’espère de tout coeur
en entendre jamais une qui dépasse celle-ci en horreur. Mais plus
répugnant encore est l’acte conclusif de l’extrémiste mis en
scène, qui m’a véritablement donné un haut le cœur.
Sur
une note plus intimiste, Egan nous livre deux textes attachants,
P’tit Mignon et Plus
près de toi. Le première
montre l’amour impossible d’un humain pour un bébé artificiel à
la durée de vie volontairement limitée, tout comme ses capacités
cérébrales On ne peut manquer de se questionner sur le caractère
obscène d’une vie artificiellement tronquée et modifiée pour
satisfaire les besoins affectifs d’adultes incapables de trouver
leur moitié pour procréer (mais n’ayant jamais été dans ce cas,
et ne prévoyant pas de l’être pour un long moment, je ne me
permets pas de jugement hâtif sur ces personnes). Quant à la
seconde nouvelle, elle nous montre un couple avide de nouvelles
expériences sur tout ce qui a trait au changement de corps, et ce
jusqu’à la fusion de conscience. Toute une panoplie de procédés
maltraitant d’après moi le corps et la conscience, sont ici mis en
œuvre pour évoquer un problème bien plus universel, celui de
l’amour, de la vie en couple.
D’une
manière générale, j’ai plus qu’apprécié ce recueil.
Relativement novice en hard-SF, je m’attendais à une liste
monstrueuse de dispositifs rébarbatifs exposés sans grâce et au
coeur même des intrigues. Bien au contraire, les mécanismes décrits
sont aisément assimilables, tant que le novice se contente parfois
de renoncer à assimiler la totalité du mécanisme pour apprécier
seulement ses effets. C’est le cas par exemple de la machine à
recueillir le futur, ou encore du dôme, issu d’une nouvelle moins
marquante. Bref, n’importe qui peut lire Egan, qu’il soit
chevronné en physique chimie, ou un type ayant oublié ses cours sur
les bancs du lycée. Vous n’avez aucune excuse pour ne pas
découvrir cet auteur (quant à l’aimer c’est autre chose, mais
lisez le bon dieu !).
Sur la
structure même de ses textes, il est intéressant de voir qu’Egan
mélange souvent les thèmes. Il est très rare de lire une nouvelle
axée sur un sujet unique. Et c’est cette composition qui rend les
histoires plus profondes et passionnantes. Pourtant je ne peux
m’empêcher de penser que tout ça va trop vite, qu’une nouvelle
c’est court pour cet auteur, et ce malgré la pertinence toujours
présente des thématiques. Je vais me montrer difficile, mais pour
une digestion optimale j’aurais préféré que le récit se calme
un peu à certains moment, pour me laisser respirer. Mais c’est
réfuter l’essence même de la nouvelle que contester sa brièveté,
alors je fermerai ma gueule et je dirai simplement que j’ai hâte
de me lire le roman du sieur Egan, La Cité des permutants. Ah oui,
j’allais oublier, Egan écrit vachement bien, c’est un régal de
le lire, même après un pavé lyrique de Hugo.
Un
dernier mot avant de vous libérer du tourbillon de mon clavier. Le
thème des implants neuraux, celui qui au départ me passionnait le
plus, s’est révélé au final moins intéressant que ce que
j’attendais. C’est pourtant ce que j’estime le plus proche de
nous au milieu de toutes les ingéniosités qui parsèment le
recueil.
Extrait
de La Douve :
Tu penses pouvoir élever une clôture autour de ce pays et oublier tout simplement ce qui se trouve à l’extérieur ? Dessiner une frontière artificielle sur une carte et prétendre que les gens de l’intérieur comptent, et que ceux de l’extérieur ne valent rien ?
A lire aussi chez Traqueur Stellaire, Les Singes de l'Espace, Julien Naufragé Volontaire, Valunivers, Anudar, Gromovar et Cachou
J'ai acheté le recueil mais pas encore lu. Par contre, je recommande vraiment La Cité des Permutants, si les descriptions scientifiques d'Egan ne t'ont pas fait peur ici. C'est assez vertigineux.
RépondreSupprimerOwiiiiii lis la Cité des Permutants, je veux que quelqu'un m'explique ce livre :D
RépondreSupprimer(moi je crois que je suis pas faite pour lire du Egan, je resterais donc loin de ses écrits aussi intéressants qu'ils puissent être ^^)
@Maëlig
RépondreSupprimerLes descriptions scientifiques ne m'ont pas effrayé, elles m'ont plutôt troublé par leur côté "j'y capte un beignet". Mais là de suite je refroidis sec ;)
@Calenwen
Les explications de ces nouvelles sont finalement assez light, et tu peux te concentrer sur le message. Je te conseille quand même de tenter une de ses nouvelles en ligne, je crois que tu peux en trouver sur le site de 42.