samedi 24 septembre 2011

Axiomatique - Greg Egan



Ah Greg Egan, depuis le temps que je voulais lire une de ses œuvres, et ce depuis qu’il fut le gagnant du prix du regretté Cafard Cosmique ! Voilà c’est enfin fait, et, comment dire, ce fut passionnant. Instructif. Eblouissant même à certains moments. Commençons.


La première nouvelle donne le ton avec une nouvelle qui surprend. Nous sommes dans la peau d’un missionnaire à la recherche de camés qui, lorsqu’ils consomment une certaine drogue, leur permet de faire s’entrechoquer des mondes parallèles à l’endroit même où ils se trouvent. Croyez-moi l’entrée en matière surprend, d’autant plus quand vous venez de vous taper une séance de sport et que les hormones vont font filer droit les mots et les pages, et que rien n’y personne ne peut empêcher votre regard de s’attacher à la signification profonde des mots qui défilent devant des yeux soumis au dictat d’un esprit empressé. On y comprend tout de même qu’il est question d’identité et d’intégrité, malgré les altérations possibles d’un univers à un autre. L’identité, un thème repris très souvent et de bien des manières par Egan, abondamment traité dans Axiomatique. Le sujet pourrait aussi se prêter à la seconde nouvelle, Lumière des événements, où l’on découvre un monde recevant des informations du futur, sans pour autant être capable de s’y rendre. L’information en provenance du futur étant relativement chère, chacun n’est autorisé qu’à recevoir une certaine somme de données, écrites, de leur vie future. Il doit à son tour faire de même, raconter les événements de sa vie pour le léguer à son soi du passé. Le procédé est soumis à validation. Ici Egan met en évidence le rôle du destin et de la fatalité, et dans un cadre plus général la manipulation consciente des médias dans nos sociétés modernes.

La troisième nouvelle, Eugène, est aussi riche d’instruction. Elle met en scène deux parents en train de choisir les attributs physique de leur rejeton, et le dilemme moral qui en résulte. Comme l’annonce le titre, c’est de l’eugénisme génétique qu’il est question, et bien évidemment Egan va loin, trop loin même à la fin. Mais peu importe, l’important est bien là ; on ressent toute l’horreur et le dépouillement de toute vie liée à l’eugénisme. Dans une autre veine, Egan nous emmène à la rencontre d’une âme vagabonde, changeant de corps comme de chemise à chaque fois qu’elle s’endort. Sous les dehors du Coffre-fort, se cache en réalité une réflexion profonde sur la formation de la personnalité en dehors d’un milieu stable, tout en mettant en exergue les capacités d’adaptation développées. La nouvelle aurait pu demeurer anecdotique sans le talent du conteur.

En apprenant à être moi, puis L’enlèvement, reviennent en orbite autour de l’identité, et plongent en profondeur dans les troubles abysses de l’Humanité, à la chasse de ces traits singuliers qui séparent l’Homme d’une simple machine de Turing. Le résultat est vertigineux, effrayant, dantesque, bref, Egan frappe fort. Dans ce marais ténébreux qu’est la définition profonde et singulière de l’homme, son caractère inaltérable et jusqu’à présent intranscriptible, Egan s’y fraye un chemin lent et sinueux, mais toujours ferme et appuyé, guidé par la flamme de sa plume.

La nouvelle la plus rafraichissante et inattendue est La Caresse. On y suit un flic bien entraîné qui, après avoir découvert un être hybride, mi-animal mi-humain, se trouve capturé par un milliardaire mégalomane. Outre les manipulations génétiques et la morale de tout ceci, il est en réalité question du rapport à l’Art. S’il est bien un domaine où je n’attendais pas un auteur de SF, c’est bien à ce niveau. D’autant plus que la réflexion s’applique essentiellement à l’art « visuel », c’est à dire la Peinture, mais aussi au Théâtre ou au Septième Art. La symbiose entre un figurant (au sens d’acteur ou modèle) et son rôle supposé dans l’œuvre, est d’une richesse admirable, elle montre comment l’art, ou illusion, et le réel se confrontent et s’entremêlent de manière inextricable, et d’un certain côté tout le travail nécessaire à la représentation d’un instant figé dans le temps, synergie de vies illusoires inventées par l’artiste et que celui-ci révèle au monde en une ultime gravure. Du Très Grand Art.

Sur la fin du recueil on trouve aussi quelques nouvelles marquantes, comme La Douve, où la xénophobie est évoquée, dont je me permets de citer un passage clairvoyant juste après la conclusion, mais également un artifice particulièrement monstrueux dans la nature de l’homme, voire de la vie, dont je ne sais si nous devons nous réjouir ou nous inquiéter à la mort. S’il existe, le débat fera certainement rage, et je serais bien curieux d’assister à son déroulement.

Sans compter que La morale et le virologue apparait peu après, et celle-ci glace encore plus les chairs. Qu’arrive-t-il lorsque extrémisme religieux et science se conjuguent ? Rien de bon semble-t-il. Ce texte éclate définitivement les doutes à propos de l’auteur, Greg Egan est le pire des salauds. Sa solution finale est la plus morbide, la plus écœurante et la plus abjecte que j’aie jamais entendue de ma vie, et je doute mais j’espère de tout coeur en entendre jamais une qui dépasse celle-ci en horreur. Mais plus répugnant encore est l’acte conclusif de l’extrémiste mis en scène, qui m’a véritablement donné un haut le cœur.

Sur une note plus intimiste, Egan nous livre deux textes attachants, P’tit Mignon et Plus près de toi. Le première montre l’amour impossible d’un humain pour un bébé artificiel à la durée de vie volontairement limitée, tout comme ses capacités cérébrales On ne peut manquer de se questionner sur le caractère obscène d’une vie artificiellement tronquée et modifiée pour satisfaire les besoins affectifs d’adultes incapables de trouver leur moitié pour procréer (mais n’ayant jamais été dans ce cas, et ne prévoyant pas de l’être pour un long moment, je ne me permets pas de jugement hâtif sur ces personnes). Quant à la seconde nouvelle, elle nous montre un couple avide de nouvelles expériences sur tout ce qui a trait au changement de corps, et ce jusqu’à la fusion de conscience. Toute une panoplie de procédés maltraitant d’après moi le corps et la conscience, sont ici mis en œuvre pour évoquer un problème bien plus universel, celui de l’amour, de la vie en couple.


D’une manière générale, j’ai plus qu’apprécié ce recueil. Relativement novice en hard-SF, je m’attendais à une liste monstrueuse de dispositifs rébarbatifs exposés sans grâce et au coeur même des intrigues. Bien au contraire, les mécanismes décrits sont aisément assimilables, tant que le novice se contente parfois de renoncer à assimiler la totalité du mécanisme pour apprécier seulement ses effets. C’est le cas par exemple de la machine à recueillir le futur, ou encore du dôme, issu d’une nouvelle moins marquante. Bref, n’importe qui peut lire Egan, qu’il soit chevronné en physique chimie, ou un type ayant oublié ses cours sur les bancs du lycée. Vous n’avez aucune excuse pour ne pas découvrir cet auteur (quant à l’aimer c’est autre chose, mais lisez le bon dieu !).

Sur la structure même de ses textes, il est intéressant de voir qu’Egan mélange souvent les thèmes. Il est très rare de lire une nouvelle axée sur un sujet unique. Et c’est cette composition qui rend les histoires plus profondes et passionnantes. Pourtant je ne peux m’empêcher de penser que tout ça va trop vite, qu’une nouvelle c’est court pour cet auteur, et ce malgré la pertinence toujours présente des thématiques. Je vais me montrer difficile, mais pour une digestion optimale j’aurais préféré que le récit se calme un peu à certains moment, pour me laisser respirer. Mais c’est réfuter l’essence même de la nouvelle que contester sa brièveté, alors je fermerai ma gueule et je dirai simplement que j’ai hâte de me lire le roman du sieur Egan, La Cité des permutants. Ah oui, j’allais oublier, Egan écrit vachement bien, c’est un régal de le lire, même après un pavé lyrique de Hugo.

Un dernier mot avant de vous libérer du tourbillon de mon clavier. Le thème des implants neuraux, celui qui au départ me passionnait le plus, s’est révélé au final moins intéressant que ce que j’attendais. C’est pourtant ce que j’estime le plus proche de nous au milieu de toutes les ingéniosités qui parsèment le recueil.



Extrait de La Douve :
Tu penses pouvoir élever une clôture autour de ce pays et oublier tout simplement ce qui se trouve à l’extérieur ? Dessiner une frontière artificielle sur une carte et prétendre que les gens de l’intérieur comptent, et que ceux de l’extérieur ne valent rien ?

A lire aussi chez Traqueur Stellaire, Les Singes de l'Espace, Julien Naufragé Volontaire, Valunivers, Anudar, Gromovar et Cachou

3 commentaires:

  1. J'ai acheté le recueil mais pas encore lu. Par contre, je recommande vraiment La Cité des Permutants, si les descriptions scientifiques d'Egan ne t'ont pas fait peur ici. C'est assez vertigineux.

    RépondreSupprimer
  2. Owiiiiii lis la Cité des Permutants, je veux que quelqu'un m'explique ce livre :D
    (moi je crois que je suis pas faite pour lire du Egan, je resterais donc loin de ses écrits aussi intéressants qu'ils puissent être ^^)

    RépondreSupprimer
  3. @Maëlig
    Les descriptions scientifiques ne m'ont pas effrayé, elles m'ont plutôt troublé par leur côté "j'y capte un beignet". Mais là de suite je refroidis sec ;)

    @Calenwen
    Les explications de ces nouvelles sont finalement assez light, et tu peux te concentrer sur le message. Je te conseille quand même de tenter une de ses nouvelles en ligne, je crois que tu peux en trouver sur le site de 42.

    RépondreSupprimer