Voici un livre qui, je l’aurais cru il a peu de temps, n’aurait jamais eu une chance d’atterrir sur les rayonnages poussiéreux de ma bibliothèque sacrée. Eh oui, malgré sa réputation, Orgueil et Préjugés n’est pas de ces livres qu’un homme puisse ouvrir spontanément après lecture du résumé comme vous le constaterez plus bas ; le fait même qu’il ait été écrit par une femme, Jane Austen, tant vantée par certaines parties de la gente féminine, achoppe sur la virilité d’un esprit phallocrate en mots mais pas en gestes. Et c’est pourtant la redondance, ces derniers temps, de la vision de cet ouvrage, qui aura eu raison d’une résistance passive.
Enfin tout ça pour dire que ce n’est pas de ma faute si j’ai lu un bouquin de bonnes femmes ;)
Mme Bennet est en émoi. Et pour cause, elle vient d’apprendre que la propriété voisine de Netherfield sera bientôt habitée par un riche jeune homme célibataire, une véritable aubaine pour cette mère de cinq filles, dont aucune n’est encore mariée. Parmi toutes les demoiselles de Meryton, Jane Bennet, l’aînée, aura la faveur de M. Bingley, l’acquéreur du domaine. Alors que ce dernier est tout à fait affable et fait preuve de la meilleure société, son acolyte M. Darcy se montre d’une austérité et d’une discourtoisie qui en font l’homme le plus détesté du coin, notamment aux yeux d’Elizabeth. La relation entre Jane et M. Bingley va bon train, offrant à Mme Bennet la certitude d’un mariage très proche. Et pourtant, Bingley disparait du jour au lendemain pour Londres, sans crier gare, en compagnie de ses soeurs et ses amis, laissant la mère et la fille en état de perplexité.
Cette soudaine déconvenue n’ôte pas de la tête de Mme Bennet l’espoir de marier ses filles, à n’importe quel prix ou presque puisqu’elle fustigera durement sa fille Elizabeth lorsque cette dernière refusera la main du successeur testamentaire de son père, M. Collins, un pasteur obséquieux à l’extrême ne jurant que par sa protectrice Lady Catherine.
Quant à Lydia et Kitty, ce sont les officiers de la ville qui les attirent. L’espoir de Lydia, d’une frivolité spectaculaire, est de se marier la première parmi toutes ses soeurs, et dans ses desseins matrimoniaux elle trouve l’appui inconditionnel de sa mère, au grand désespoir de M. Bennet.
Avec Orgueil et Préjugés, comme dans la majorité de ses autres ouvrages si je m’en réfère à la préface, Jane Austen nous dépeint la petite bourgeoisie de son époque, campagnarde en grande partie puisque nous évoluons la plupart du temps hors des agglomérations citadines. Les « experts » de l’auteur nous expliquent que cette restriction du milieu est due à sa faible imagination, mais surtout par son désir d’être réaliste. Et réaliste elle l’est en effet, on ne peut le nier. L’amateur de lyrisme et de grande épopée risque d’être déçu par le contenu du roman, on suit la vie de la famille Bennet, régie par la préoccupation maternelle de marier chacune des filles. Tout ceci aurait pu être bien éprouvant – pour moi et mes camarades du sexe turgescent je l’entends -, si Jane Austen n’avait pris la peine de présenter son milieu de manière satyrique. A l’exception des deux aînées, Jane et Elizabeth, les dames et demoiselles de noyau familial sont l’emblème d’une société matrimoniale poussée à l’extrême. La mère n’a d’autre raison de vivre que marier ses filles, élabore des plans pour arriver à ses fins, et pour elle tout mariage fait office de bonheur, même lorsque M. Collins, l’homme le plus ringard et le plus emmerdant qui puisse exister sur Terre, demande la main d’Elizabeth, l’antithèse même de cette société basée sur le mariage. Il demeure toutefois une exception, Marie, dont l’auteur se moque pour dénoncer les perroquets philosophiques dont les seules paroles viennent des livres et non de leur cervelle.
Cependant, si Jane Austen se moque de la petite bourgeoisie, elle n’en brosse pas un portrait acerbe. Au contraire, les motivations sont expliquées, les personnages fouillés, et c’est là que le réalisme du roman développe toute son ampleur, car il montre la nécessité pour bien des filles d’antan une soumission au système pour s’assurer une meilleure subsistance. Cette obligation prend forme dans l’héritage, interdit aux femmes, réservé aux hommes, afin de ne pas disperser le patrimoine familial. Pourtant certaines filles au caractère bien trempé refusent envers et contre tout quelque arrangement néfaste à leur bonheur ; c’est le cas d'Elizabeth Bennet, qui jamais ne cède à un mariage qu’elle estimerait contraire à sa vision du bonheur, allant jusqu’à mépriser sa meilleure amie qui, elle, cèdera. Elizabeth est l’incarnation même de ces femmes fortes que l’on ne peut acheter, que l’on doit gagner.
Mais son rôle est encore accru, il sert une mise en garde que les moralistes de l’époque tentaient d’enseigner, notamment aux jeunes filles, celle de la première impression. C’est d’ailleurs le titre que devait initialement porter l’ouvrage avant de subir quelques réajustements. En effet, les personnages de Darcy et Wickham illustrent tout à fait cette tendance au jugement immédiat, dont on ne peut se départir qu’en ayant une connaissance presque exhaustive de la personne. Les actions de l’un trouveront indirectement le contrepoint total chez l’autre ; c’est une dichotomie presque parfaite que représente ce couple ambivalent.
Quant à l’orgueil, qui forme la première partie du titre, il se retrouve dans le comportement de Darcy et d’Elizabeth, bien qu’il soit moins aisé de le découvrir chez cette dernière puisque c’est elle que nous suivons. Je préfère ne pas en dire plus au risque de spoiler honteusement certaines parties.
Passons maintenant aux réflexions personnelles. Il est un personnage que j’ai peu mentionné, M. Bennet, dont j’adore la répartie, et il compte pour les personnages que je regrette de ne pas avoir vu davantage. Sans aller jusqu’à louer son comportement envers sa femme pour autant. A l’opposé se disputent M. Collins et Lady Catherine, au savoir-vivre inexistant.
La découverte du roman est très plaisante, en raison de la légèreté du ton et du fait que l’amour n’est pratiquement pas évoqué (le sujet c’est le mariage, ça semble presque logique, et la véritable naissance de l’amour se fera sentir également dans le coeur du lecteur), mais une centaine de pages – sur 400 au total – arrivé au milieu a plombé ma lecture. La faute en incombe à la prose qui me semble trop datée, mais plus spécifiquement aux menus événements qui n’ont pas su captiver mon attention, et dont la plupart des dames sont en droit de raffoler mais qui pèsent généralement sur un esprit masculin. Et pourtant vous serez aux anges d’apprendre que je me suis surpris, lors de l’ultime centaine de pages, à glousser par moments comme une jouvencelle découvrant les prémices du désir lors de la bonne fortune des soeurs.
Oui, mesdames, mesdemoiselles, messieurs, je plaide coupable. Avec plaisir même.
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J'adore ton billet ! C'est sympa d'avoir un avis masculin sur cette auteure ! J'avais été, à vrai dire, très agréablement surprise par cet Orgueil et Préjugés. Pour moi, en revanche, ce sont les 100 premières pages qui furent un peu longuettes.
RépondreSupprimerPour moi l'épreuve de force fut l'épisode de Lady Catherine et de M. Collins, on avait quand même compris le genre de personnes que c'étaient ! Et juste après leur retour, je me suis demandé si j'allais pas abandonner. Finalement j'ai bien fait de continuer. Pourtant je me vois pas relire un Austen de suite, surtout si les thèmes sont assez proches les uns des autres.
RépondreSupprimerOui, ils se ressemblent tous assez. J'ai beaucoup aimé Persuasion (que j'ai préféré à Orgueil et préjugés) mais je me suis ennuyée à Raison et sentiments. Je vais attendre un peu pour en lire d'autres.
RépondreSupprimerC'est rigolo d'avoir ton avis ^^
RépondreSupprimerCa me rappelle qu'il faut vraiment que je le lise, histoire de ne pas mourir inculte...
Oh oui, je ne pardonnerais jamais à ton cadavre de n'avoir jamais lu cet ouvrage ;)
RépondreSupprimerUn classique peut-être trop classique pour moi. A la fois il m'attire, à la fois il me fait peur (si si j'ai peur des livres, curieux non?). Mais si je mets la main dessus en okkaz, j'essayerai peut-être, histoire d'avoir tenté l'aventure.
RépondreSupprimerLes classiques ne sont vraiment pas mon genre de prédilection, mais je dois avouer que celui-ci est un des meilleurs que j'ai pu lire :)
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