vendredi 2 septembre 2011

L'illusion conjugale

Durant quelques années il m’est arrivé d’assister, régulièrement, en compagnie de mes parents, à la représentation de pièces de théâtres comiques, connues également sous l’appellation de « théâtre de boulevard ». L’autre soir encore, après un long moment sans fréquenter les planches, je suis retourné voir ce qui, d’après mon père, aurait du être la « pièce de l’année ». Le théâtre Princesse Grace de Monaco accueille généralement des pièces à consonance humoristique, je le sais parfaitement pour m’y être esclaffé un nombre incalculable de fois, et l’acteur principal, Jean-Luc Moreau, semble également réputé pour ses rôles non moins burlesques. C’est dans ces conditions que l’on voit toute la fausseté des apparences et des pronostics, car L’Illusion conjugale n’est pas de ces spectacles capables de vous paralyser les zygomatiques à force de tétanisation immodérée ; disons pour ne pas sombrer dans la méchanceté gratuite qu’elle les ménage avec bienveillance.


La pièce lève le rideau sur un couple, dans leur vaste salon ouvrant sur un ciel azuré. On comprend rapidement que la fidélité chez Maxime (Jean-Luc Moreau) n’est pas un principe bien établi, mais il se targue d’une déontologie visant à préserver l’honneur de sa femme (Isabelle Gélinas). Elle-même n’est pas en reste, puisqu’elle avoue son aventure passée. La durée excessive de la relation inquiète son mari, qui lui réclame à corps et à cris les détails sur l’amant. Elle ne cède pas et Maxime spécule sur l’identité du coupable, quant soudain le téléphone sonne. Son meilleur ami (José Paul), qui est au bout du fil, est alors invité à changer ses plans pour venir diner. Derrière cette invitation subite se dissimule évidemment un traquenard du mari jaloux, un interrogatoire en règle pour confondre au besoin son ami.
 
Le mari cocu est un sujet récurrent dans le théâtre de boulevard, bien des auteurs s’y sont essayés. Eric Assous tente ici de briser les codes, évite les multiples quiproquos et les situations fausses. Ou plutôt il ne les reprend pas, au point de se demander si L’Illusion conjugale appartient bien au genre. Gageons que non, Eric Assous propose une intrigue sur fond de jalousie, de soupçons et d’accusations, mâtinée de quelques propos comiques. Ce serait au contraire l’aventure humaine qui est narrée, si tant est que relater quelques heures passées dans un salon soit considéré comme une aventure. Je ne suis pas réfractaire au concept, même si j’attendais autre chose, et j’aurais certainement pu apprécier la pièce si bien des choses ne m’avaient dérangé.
 
Le principal défaut de la pièce réside dans sa froideur. Le ton se veut posé, la diction mesurée. Trop certainement, car le sentiment d’assister à une quelconque récitation n’est jamais loin ; l’élocution robotique ôte toute spontanéité. Ce manque de dynamisme s’exprime également par l’intermédiaire du jeu d’acteurs, ces derniers demeurant roides et compassés la majeure partie du spectacle. Les planches semblent alors bien désertiques, leur surface est bien insuffisamment exploitée en regard de la fixité des rôles. Il en résulte une distance particulièrement dérangeante entre les comédiens, souvent espacés plus qu’il n’en faudrait pour instaurer ce sentiment de complicité propre à une discussion intime, laquelle est l’objet principal de la pièce. Mais disposant uniquement d’un trio d’acteur, le pari n’était pas simple à relever.
 
Les rôles eux-mêmes ne sont pas mieux logés. On regrettera sincèrement qu’Eric Assous n’arrive à donner entièrement corps à ses personnages, trop souvent présentés sous la même facette, et incapables de susciter un quelconque attachement en dépit des rares moments de mise à nu des sentiments. Leur principal défaut vient de l’exagération manifeste de leur caractère, tel le meilleur ami du mari, beaucoup trop effacé pour coller au rôle au point que ce dernier devient malgré lui le parangon du manque de spontanéité qui caractérise ses confrères sur scène. Des tirades mal dosées et un masque de circonstance beaucoup trop laconique parachèvent la monotonie scénaristique.
De la trame on en retiendra son caractère basique. Comprenez par là qu’il n’y guère de rebondissements, et si l’idée de base avec le traitement qu’elle implique n’est franchement pas mauvaise, le tout traîne en longueurs parfois interminables pour expliquer les dessous d’un sous-entendu. Les coutures dans le texte sont bien trop apparentes pour qu’on ne décèle pas le caractère artificiel de certains échanges, contribuant ainsi à l’exploration de territoires hypnagogiques que certains rires extérieurs viendront craqueler à intervalles beaucoup trop espacés.
 
J’ai bien conscience du ton lapidaire de ma critique, et comme il arrive parfois je me dois de tempérer (légèrement) les propos précédents, car si le spectacle proposé n’était manifestement pas à la hauteur de mes attentes, il n’est pas aussi catastrophique que mes dires semblent l’attester. Néanmoins, je doute que mon commentaire s’accorde avec les voix tonitruantes de la profession, L’Illusion conjugale fut nominée pour les Molières cette année.

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