Récemment je suis tombé sur un vieux
coffre au trésor, pourrais-je dire, quoique le coffre en question
ressemblait plus à un vieux carton miteux stocké dans un garage, et
que l'éclatant cadenas qui tenait le rôle du Cerbère des lieux
n'était plus que scotch en lambeaux. Mais comme souvent l'habit ne
fait pas le moine, et si l'écrin n'était pas à la hauteur du
contenu qu'il dissipait aux yeux des pauvres mortels amoureux du
clinquant, du moins avait-il l'avantage d'abriter en son sein un mont
ébouriffant de papyrus jauni par le temps. A l'intérieur donc, se
trouvaient les témoins de la jeunesse littéraire de ma génitrice,
qui n'attendaient que sa descendance pour endosser à nouveau leur
rôle lumineux. Et grâce à mes soins ils sont une trentaine à
reprendre du service, et le premier à avoir brillamment accompli son
office est L'Herbe rouge, de Boris Vian.
Au milieu d'un pré où l'herbe est
rouge, Wolf qui est ingénieur a construit avec l'aide de son ami
Lazuli, une étrange machine. D'après Wolf, elle permettrait
d'oublier le passé après l'avoir revécu. Mais comme il s'en
apercevra rapidement, les effets sur sa personne ne seront pas
anodines, et Lil, sa femme, en expérimentera les conséquences.
Lazuli est quant à lui amoureux de Folavril, mais chaque fois qu'il
tente de l'embrasser un homme triste et mystérieux apparaît et le
glace d'effroi, avant de s'évaporer dans les airs. Les débuts d'une
quête introspective dans un monde fantastique.
La première partie de l'ouvrage se
montre assez molle. Boris Vian nous mène un peu au hasard des
événements et on ne voit pas de fil d'Ariane relier les événements.
Ainsi les premiers épisodes ont du mal à retenir l'attention une
fois l'émerveillement de l'écriture passé (j'y reviendrai plus tard). Le thème se dévoile
véritablement vers la moitié de l'ouvrage. Il s'agit de l'Homme et
de la Vie, sujets universels. A travers la relecture de son passé,
Vian exhorte la vie et conchie les valeurs traditionnelles. Je ne
connais pas en détail la vie de l'auteur, mais je pense pouvoir dire
que cet ouvrage est largement d'inspiration autobiographique.
Certains éléments de son passé comme le mépris envers les élites
désignées (ingénieurs de grandes écoles notamment, Vian avait
fait Centrale) transparaissent clairement, de même que ses doutes
derrière les rituels de la religion. Au monde qui l'emprisonne lui
et ses aspirations, qui le vide de sa substance et lui ôte toute
capacité à fabriquer de beaux souvenirs, il opposera la Vie, la
poursuite et l'acceptation de ses désirs qui doit conduire au
bonheur, même végétatif, tel que l'atteindra son vieux chien
gâteux si ingénument appelé Sénateur Dupont (est-ce vraiment le sommet
du bonheur pour l'auteur ? Difficile à notre stade de
l'imaginer autrement pourtant).
Car lorsque Vian critique il ne se
soucie pas d'allusions voilées. Il fonce au but quitte à
ridiculiser à outrance, use et abuse de l'absurde et du grotesque,
sans tomber pour autant dans la vulgarité qu'il dénonce. Comme
quand il attaque violemment les affaires politiques au début de
l'ouvrage, avec l'épisode de l'inauguration de la machine de Wolf où
le maire et son adversaire s'affrontent verbalement pendant que la
femme du maire joue le rôle de femme-sandwich. Attaques certes
banales de nos jours, mais dont la violence est révélatrice de la
répulsion de Vian.
Mais la vrai force de Boris Vian, celle
qui élève véritablement son ouvrage, c'est son écriture. Sa plume
est un précipité fragile de « sorcellerie évocatoire »,
comme disait Baudelaire en parlant du maniement de la langue. Il y a
dans l'écriture de Vian une sorte de simplicité, de naïveté
enfantine qui alimente la force des images. A travers elle tout
devient possible, elle transfigure le réel et l'embellit, elle
transforme un quartier chaud en quartier des « amoureuses »
baigné de sensualité, où les femmes sont belles, simples et
attentionnées. Les néologismes foisonnent et « exotisent »,
les prénoms sont bariolés et éthérés : Lil, Folavril,
Lazuli ; à l'exception de Wolf lui-même.
Bref, L'Herbe rouge est un titre
aux multiples facettes, qui apparaît au final comme un hymne à la
vie, une vie que Boris Vian semble avoir longtemps cherché et qu'il
a peur de ne jamais trouver. Le discours sera parfois sujet à
caution, bien que ces lignes nous encouragent à suivre
Vian sur son chemin. Et puis lire L'Herbe rouge c'est aussi
pénétrer dans un monde au confluent de la science-fiction, du
fantastique et du bizarre, un monde beau et surprenant, où la plume
n'a de cesse de caresser le lecteur.
Quelle bonne idée de lire cet ouvrage de Vian ! Un de ceux que j'ai le plus apprécié ! Même pas trouvé la première partie mollassonne, mais ça... question de goûts et de couleurs, pas vrai ?
RépondreSupprimerEn effet. Et je devrais attaquer la suite avec L'Ecume des jours ou J'irai cracher sur vos tombes, si je le trouve assez rapidement.
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