mardi 13 mars 2012

Des Milliards de tapis de cheveux - Andreas Eschbach

La réputation de ce livre a beaucoup fait pour m'attirer. De la SF onirique selon certains, de la SF inhabituelle pour les autres, quoiqu'il en soit Des Milliards de tapis de cheveux semblait ne laisser personne indifférent. A la base un petit événement, puisque l'ouvrage d'Andreas Eschbach fut le premier recueil de SF germanique à s'expatrier de sa contrée après une décennie de claustration forcée.


Sur une lointaine planète est établie depuis des millénaires un culte étrange. Des tisseurs doivent, leur vie durant, constituer un tapis qui sera accroché dans le palais de l'Empereur. Mais attention, pas n'importe quel tapis, un tapis réalisé uniquement à l'aide de cheveux que les tisseurs collectent sur leur femme et leurs concubines. Chaque réalisation doit assurer les conditions de vie nécessaires à la génération suivante, qui accomplira le même rituel indéfiniment.

Pourtant un jour la nouvelle se répand que l'empereur est mort, assassiné par des rebelles. Ce que les tisseurs nient formellement en bloc, malgré leur isolement pratiquement complet du reste du monde.

Car on s'en étonne rapidement, la société des tisseurs est un monde rustre, peu avancé, où la civilisation semble avoir rebroussé chemin. La seule trace de technologie semble résider dans ces vaisseaux étrangers qui parcourent l'univers. C'est un monde livré à lui-même dans de rudes conditions, où la religion prédomine massivement sur l'éducation, facteur totalement négligé (voire même craint, puisque l'éducation offre une ouverture d'esprit). Cela vaudra d'ailleurs des ennuis au protagoniste de la première nouvelle, Abron, notamment lorsqu'il s'intéressera au Vent silencieux, ouvrage proclamant la mort de l'empereur. On retrouvera plus tard cette dénonciation d'un monde barbare enclin à mépriser les arts lorsqu'un joueur de flûte à trois sera pourchassé pour avoir déserté.


Mais si on s'intéresse aux tisseurs on ne se concentre pas que sur leur art, on gravite autour d'eux en découvrant leur réseau, leur mode de vie, les mentalités qui y ont cours. C'est d'ailleurs le discours principal de la première moitié des nouvelles, qui voient peu d'incursions étrangères. Puis quand enfin Eschbach nous transporte au cœur de l'empire on assiste à de nouveaux événements qui amplifient considérablement l'intérêt. On y découvre alors les dessous des rumeurs, et après un chapitre en apothéose nous reprenons l'exploration de la (ou les?) galaxie qui suscitera d'inévitables questions. Pourquoi s'égare-t-on par ici ? Pourquoi cet intermède ? Mais surtout pourquoi aussi peu d'action ? C'est en effet un des principaux reproches que l'on fera à l'ouvrage, et c'est la raison qui m'aura fait faire un break de six mois. Car m'étant arrêté juste avant ce que je considère comme le point d'orgue du bouquin, je n'y voyais alors aucun intérêt. Les personnages sont certainement le point faible de l'ouvrage. Bien que l'auteur mêle différents profils, ces derniers peinent à retenir l'attention (on notera au passage que les personnages exposent leur quête d'eux-même, qu'ils se cherchent. Serait-ce la part de l'auteur ?) ; leur mollesse va de concert avec le rythme langoureux de la narration.

Qu'il ne se passe pas grand chose n'est pas un problème en soi, je ne suis pas un inconditionnel de l'action et il y a bien d'autres choses intéressantes à côté. Le souci se pose lorsque l'auteur ne parvient pas à faire oublier ce fait. Et c'est dommage parce que l'univers d'Andreas Eschbach est intéressant à de multiples points de vue. Beaucoup ont noté les passages de descriptions 'oniriques', voire ''poétiques'', et c'est une chose extrêmement appréciable dans un genre que l'on réduit trop souvent à la simple mécanique grandiloquente de vaisseaux spatiaux (quoiqu'ici les carlingues intersidérales ne sont évoquées qu'à de rares moments), et s'il me faut reconnaître que certains passages rehaussent la qualité de l'ouvrage, je dois avouer n'avoir pas toujours été conquis (forcément, quand on passe après Hugo, Baudelaire ou Apollinaire, la tâche est rude, d'autant plus après traduction !). De même la description de l'empire, malgré sa brièveté, soulèvera certaines questions d'ordre éthique et philosophique.

Et pourtant, arrivée la fin on se dit que mine de rien Eschbach avait son idée bien en tête, que rien n'était dû au hasard. On regrettera pourtant certains passages qui pourront sembler inutile, le recours à l'intertextualité étant omniprésent dans le recueil. Certainement dans le soucis de tisser un canevas indéfectible, son tapis de cheveux personnel, l'auteur s'est échiné à mettre chaque élément en relation avec un aspect de l'histoire, quitte pour cela à dérouter le lecteur et l'immerger – sans le noyer – dans des faits parfois écartés du sujet, comme le récit sur la station spatiale, peu intéressant et cliché (voire même très stupide), mais dont la fin touche quand même la corde sensible du lecteur malgré la sensation de déjà vu.

Bref, Des Milliards de tapis de cheveux est un ouvrage discordant au sein du space opera. On lui reprochera avant tout sa mollesse intrinsèque, tant dans les personnages que dans le rythme. Peinant à retenir l'attention, cet ouvrage n'est pourtant pas dénué de qualités, et on retiendra surtout son angle d'attaque original qui tient à l'occasion un discours sur la nature humaine, mais qui interroge également sur les systèmes de gouvernance. Finalement on parcourt ce recueil comme on fait une randonnée : l'intérêt croît au bout d'un moment pour grimper en flèche, puis se casse la gueule sur la descente tandis que nous continuons, absorbés par la vitesse.


CITRIQ
A voir chez Lorkhan, Ryuuchan,Spooky, Calenwen, Tigger Lilly, Arutha