dimanche 31 juillet 2011

Le Vieil homme et la mer - Ernest Hemingway

Le Vieil homme et la mer est considéré comme un des romans majeurs d'Ernest Hemingway, voire son meilleur. Malgré les critiques disparates lors de sa sortie, le prix Pullitzer en 1953, puis le prix Nobel 1954, firent de ce court roman une oeuvre majeure du XXè siècle. Car oeuvre il y a, et même si certains lecteurs seront saisis d'incompréhension à la lecture, qu'ils souquent ferme dans l'ennui le plus profond, je maintiens mon jugement téméraire, esprit indépendant que je suis mais surtout soutenu par l'aval des comités de l'époque.


Santiago est un pauvre et vieux pêcheur. La dernière compagnie qui lui reste est un jeune garçon, à qui il a appris à pêcher, resté fidèle malgré l'isolement de Santiago. Mais depuis quelques temps, le vieil homme ne rapporte plus de poisson, et les parents du gamin l'ont transféré sur un autre bateau. Seul, le vieil homme part au large, et un poisson mord finalement à l'hameçon. Mais la lutte sera longue, intense, et emmènera le vieil homme bien loin de la côté cubaine.
 
Je le reconnais, le pitch n'est pas des plus engageants. Mais il suffit de persévérer pour découvrir les trésors que recèle ce roman. Nous suivons en grande partie l'isolement du pêcheur en mer, son combat sans relâche contre cette force de la nature. Mais l'intensité qui se dégage des pages est tout à fait passionnante ! Le début est peut-être laborieux, on tente de s'accommoder au style qui semble manque d'ambition, qui pourrait même passer pour simpliste. Mais les pages défilent, et tandis que le combat s'engage le lecteur est pris dans les filets de l'écrivain. On sent toute la dureté du combat, toute l'abnégation du vieil homme, son obstination sourde et inébranlable. Et pendant tout le temps que nous passons en sa compagnie, nous partageons également ses pensées, remplies d'un respect amène envers l'océan qu'il côtoie au quotidien. Et nous vivons presque l'océan. Les descriptions d'Hemingway sont épurées dans la quintessence : un mot, une métaphore suffit pour transmettre le sentiment d'une entité abstraite, presque vivante. La simplicité même du pêcheur est en adéquation avec ce monde simple mais dur. Cruel tout en étant généreux. La vie en d'autres termes.
 
  Car on se sent presque vivre à la lecture. On s'implique dans le combat du vieil homme, on est tenu en haleine par un dialogue entre le héros et lui-même. Peut-on d'ailleurs parler de héros? Au sens "Hemingwayien" du terme certainement, quoique je ne sois pas le mieux placé pour en juger. La préface indiquait gentiment le résumé de l'ouvrage, et je fus bien inspiré de ne le lire qu'à la fin de ma lecture. Car j'avais cru voir un message de respect de la nature, ne pas voir en elle un ennemi mais un adversaire qui nous fait progresser, alors qu'il fallait y voir un aspect qui tenait bien plus à coeur à Hemingway, et qui risque peut-être de vous gâcher la lecture si vous ne sautez pas au prochain paragraphe immédiatement. [SPOILER] Hemingway nous fait vivre l'échec dans la victoire. Et même si ce n'est pas ce que j'en aurais retenu à la fin, j'avoue réellement avoir été presque souffert avec le vieil homme lors du retour. Certes une logique d'anticipation avait déjà prévu cette éventualité, mais il est toujours douloureux de voir un bonhomme sympathique souffrir de l'annihilation d'effort surhumains. [/SPOILER]
 
Bref, et sans vouloir plus m'épancher plus que ça, ce livre est marquant malgré sa faible pagination. J'en retiendrai surtout une escapade courte mais fournie en détails, qui permet de vibrer avec le vieil homme, l'attachement à ce dernier qui est du à sa simplicité, son abnégation et son courage admirables, et un style faussement simpliste au diapason du caractère de vieil homme. Cet océan pacifique m'aura marqué également. Un retour aux sources rafraichissant, mêlé à un message pas forcément intellectuel mais qui demeure parfois poignant. Cependant, et par honnêteté, il me faut spécifier que rentrer ou se remettre dans la lecture n'est pas toujours chose aisée. Si les conditions vous le permettent, tentez de vivre cette aventure d'une seule traite.

samedi 30 juillet 2011

Le Déchronologue - Stéphane Beauverger

Comme toujours, le bouche à oreille version nouvelle génération, c'est à dire internet, m'a permis de débusquer cet ovni à côté duquel je serais immanquablement passé sans cette invention du divin. Je serais également mauvaise langue de nier l'impact des prix reçus, ceux des Imaginales et des Utopiales. De même, la magnifique couverture bleutée, à consonance énigmatique, aurait pu orienter un choix indécis s'il n'avait été fermement décidé. Mais surtout, c'est le nom de la maison d'édition qui fut un prescripteur féroce. La Volte, qui, rappelons-le si nécessaire, a édité les deux romans exceptionnels d'Alain Damasio, La Horde du Contrevent et La Zone du Dehors, choisit avec un soin particulier ses auteurs, privilégiant la qualité à la quantité. C'est donc sans l'ombre d'une méfiance que je me suis embarqué pour un périple ma foi bien sympathique.


Nous suivons les aventures d'Henri Villon, boucanier français exilé sur les mers des Caraïbes du XVIIème siècle, dont la route, comme celle de bien d'autres habitants des îles exotiques, va croiser celle d'ouragans temporels. Ce dérèglement de la grande horloge aura comme conséquence, entre autres, l'apparition de maravillas, d'étranges objets aux propriétés mystérieuses, source de fascination extrême. Prenant conscience des dangers qui menacent son monde, le Capitaine Villon délaissera sa passion dévorante pour prendre les armes contre les envahisseurs du temps, tissant au long de ses aventures des alliances atypiques.
 
Ce qui frappe en premier lieu, c'est l'intensité et l'originalité du style de Stéphane Beauverger. Les descriptions sont souvent recherchées, s'appuyant sur le jargon de l'époque sans être aucunement lourdes. Le héros étant un capitaine émérite, le vocabulaire maritime se fait logiquement très présent. Les jurons d'époque sont bien entendu de mise, et les quelques "Christ mort !" et "Pute vierge" qui parsèment le récit sont un vrai régal pour les oreilles. De même, le sabir des contrebandiers possède un charme indéniable, bien que sa compréhension relève souvent du chemin de croix, ou parfois de l'incompréhension la plus totale. Bref, Beauverger écrit avec classe, au point de croire le récit réellement écrit par ce flibustier d'Henri Villon.
 
Cette réussite stylistique possède un intérêt double, celui de ravir l'oreille du lecteur avide de musicalité et d'originalité bien évidemment, mais également permettre un meilleur ancrage dans les Caraïbes d'antan. Ce dernier a bien fait l'objet de recherches poussées, et la géopolitique d'alors, bien que peu complexe avec la domination outrancière des Spagniards et des Portugais, que les autres nations européennes tentent chichement de renverser, est bien exposée et exploitée. Chaque mouillage dans une ville portuaire est l'occasion de s'imprégner de l'ambiance des lieux ; et les tavernes et estaminets seront les théâtres les plus représentés.
 
Si l'immersion et le style sont au rendez-vous, j'ai en revanche été moins convaincu par le scénario. La disposition particulière des chapitres, qui semblent avoir été mis au hasard lors de l'impression, me laisse dubitatif. Bien que le monde soit en proie à différents phénomènes temporels, cet argument me semble être la plupart du temps simplement un artifice inutile. Et quand on croit tenir la raison de cet agencement particulier, elle s'échappe le chapitre d'après. La fin se fait alors attendre pour expliquer ceci, mais on n'y trouve aucun motif particulier. De même pour l'histoire du glissement temporel qui semble arriver comme un cheveu sur la soupe dans les ultimes chapitres. J'ai l'impression que l'auteur s'est amusé à multiplier les mystères sans être capable d'en trouver des explications suffisamment développées - à mon goût, il va sans dire.
 
Il faut cependant relativiser ces propos, car en consultant un thread sur actuSF, on peut y lire que Stéphane Beauverger avait dans ses tiroirs une seconde version du manuscrit, qui elle révélait les mécanismes plus en détail que ce qui est proposé ici. On y découvre également que le roman a nécessité une réécriture complète. Au départ, les chapitres se suivaient, puis, afin de rendre l'histoire facilement compréhensible, pour expliquer suffisamment les motivations des protagonistes entre les trous de chapitres, tout a été réécrit pour convenir aux exigences de l'auteur. Il faut reconnaître la réussite de cette étape, car malgré les ellipses fréquentes, on arrive à suivre sans trop de problème les aventures du valeureux flibustier.
 
Il ne faut pas non plus oublier de saluer l'originalité de l'histoire, qui emprunte avec plus ou moins de succès des thèmes éculés de la science-fiction pour les détourner à la sauce Beauverger. Ainsi, le coup de l'incursion temporelle est judicieusement utilisé : il permet de nous entraiîer dans un premier temps à la recherche des maravillas - objets de convoitise et de fascination d'Henri Villon notamment, et qui se banaliseront progressivement dans les Caraïbes, responsables d'anachronismes en tous genres - qui amèneront à une lutte de plus grande envergure par la suite. Cette dernière amène d'ailleurs des problématiques assez intéressantes, que je déplore ne pas avoir vues exploitées plus en avant. Je pense notamment à la relation Targui-Villon, qui est longuement évoquée sans mériter pour autant l'attention que l'on aurait souhaité, et qui aurait jeté un éclairage intéressant sur ces observateurs dont on ne cesse de nous rabâcher la fonction.
 
Je regrette également que le message de l'auteur, que je vous laisse le soin de découvrir par vous-même, ne soit pas plus profond. Il est certes chanté de bien belle manière, mais se contente d'asséner ses vérités sans chercher plus loin. Pour tout dire, je n'ai pas réellement été surpris par le contenu du propos. L'amorce m'avait déjà titillé dans ce sens, et il m'aura fallu environ 200 pages pour trouver ce que je pressentais. L'étonnement est cependant venu de l'identité des mystérieux ennemis, dont on ne cesse de douter tout au long des chapitres.
 
A propos du protagoniste, Henri Villon, je n'ai pas été enthousiasmé par sa lutte. Je n'ai pas été pris par son engouement ni par sa détresse. Sans bénéficier d'une personnalité sommaire - elle est au contraire travaillée -, je l'ai souvent trouvé trop proche de ma personne par certains aspects. En ce sens, j'aurais préféré plus d'originalité et d'exubérance, bien que l'on ait affaire à un gentilhomme qui sache parfois se faire roublard, mais qui se fait avant tout le héraut de Beauverger. Comme je l'ai spécifié, je regrette de ne pas avoir été enthousiasmé par sa lutte, et la relative faiblesse du scénario sur ce point ne m'aura pas été d'une grande aide pour l'immersion. Les personnages secondaires tiennent quant à eux la dragée haute, mais comme pour Villon, l'alternance temporelle ne permet pas de se faire une idée précise de leur évolution, bien qu'ils ne soient pas au centre du sujet.
 
Si j'ai passé un agréable moment en compagnie du capitaine Henri Villon, l'ouvrage pêche pour moi au niveau d'un scénario qui occulte certains agissements que j'aurais voulu voir plus amplement développés, sans pour autant lui enlever des trouvailles originales, et d'un protagoniste que j'aurais voulu parfois moins propre sur lui. En revanche, le style et le monde décrit, bien que l'on passe énormément de temps dans les troquets d'alors, suffisent pour passer un moment très agréable, pour peu que l'on se laisse bercer par la plume riche et imaginative de Stephane Beauverger. Globalement, Le Déchronologue reste un bon divertissement, malgré une légère déception due à la pression mise sur  l'ouvrage ; ce qui ne l'empêche pas de venir se placer sur le haut de la pile des bouquins à relire. Cette production inclassable, une fois encore aux éditions La Volte, m'incite fortement à me tourner vers cette maison que j'ai envie de soutenir.


A voir aussi chez Nébal, Cachou, Lorkhan

Kick Ass

Y’a pas à dire, Kick Ass nous botte bien le cul. Et pas seulement à nous, simple spectateurs itinérants, mais également aux autres comics de super-héros. Pas tous bien entendu. Certaines adaptations, comme celle du Dark Knight, n’ont pas à rougir face à cette parodie du genre. Et dieu que c’est jouissif.  Le héros, ou antihéros selon les positions de chacun, est un adolescent banal, et suit les cours au lycée comme les autres jeunes de son âge. Aucune identité secrète ou même pouvoir spécial, aucun passé trouble ou idéologie divergente, ce Dave Lizewski est bel et bien un être entièrement normal. Pourtant, Dave a un rêve, un fantasme caché, mais que bien d’entre nous ont certainement eu un jour : devenir un super-héros. Mais voilà, Dave est un loser, un ringard pur jus. Et c’est d’ailleurs ce qui fait le sel de toute cette histoire. Voir un gringalet sans aucune maîtrise du combat, armé simplement de son courage et de son costume vert fuchsia débarquer face à deux voyous en crânant, voilà qui ne manque pas de piquant. Cependant, Dave apprendra à ses dépends que les comics sont loin de refléter la réalité. On ne s’improvise pas super-héros en un jour, et encore moins lorsqu’on est un geek gringalet sans aucune capacité spécifique. Malgré un revers prévisible, Dave, alias Kick Ass, reprend du service. Après un concours de circonstances très bien amené, Kick Ass attise le buzz et déchaîne les passions, l’occasion de présenter un super-héros rompu aux nouvelles technologies (mais version réseaux sociaux), comme le fut Batman en son temps.


Jusqu’ici, Kick Ass est un film très drôle, mais l’on se demande bien si le film sera uniquement une comédie déjantée qui délaisse l’histoire. Vous l’aurez certainement deviné, ce n’est absolument pas le cas. Sous ses dehors parodiques, le titre – car n’oublions pas que le film est tiré du comics éponyme– n’oublie pas de proposer une histoire réellement bien ficelée. En parallèle des déboires de Kick Ass, nous suivons les aventures d’un père et de sa fille, qui forment résolument un duo très singulier. Sans trop en dévoiler, nous avons en face de nous deux être humains qui approchent le plus de la définition d’un super-héros. Deux justiciers masqués et dotés d’aptitudes exceptionnelles écument le monde de la pègre. Dans quel but ? Vous le saurez bien assez tôt. Sachez simplement que ces deux-là sont très attachants. Nicolas Cage interprète à merveille le rôle du père poupon et sécuritaire ; quant à sa fille, nom de code Hit Girl, le décalage entre son jeune âge et son comportement est une source de réjouissance à plusieurs reprises. Loin d’être la petite fille sage modèle, elle se révèle être une soldate prête à tuer sans aucun état d’âme. Ajoutez à cela des répliques cyniques foudroyantes, et Hit Girl est clairement mon personnage favori.

Il serait pourtant injuste de négliger les seconds couteaux, de ne parler que des trois gentils de l’histoire. Car s’il faut bien reconnaître une qualité de taille à Kick Ass, c’est son panel de personnages très fourni, et surtout très abouti. Du parrain de la pègre à la fille objet de désir, tous les acteurs interprètent brillamment leur rôle. Les acteurs semblent être en résonance avec leur rôle ; à l’unisson ils se sont mis au diapason. Cependant, on ne pourra s’empêcher de noter que l’histoire part sur des bases très classiques. Mais qu’importe puisque les clichés sont superbement détournés. La love story, élément notablement mièvre dans nombre de longs métrages, est également une réussite. Moi qui suis d’humeur cynique à ces moments précis, je me suis surpris à trembler pour Dave, à partager ses sentiments dans ce moment crucial. Clairement, je me suis senti solidaire de ce puceau perdu dans les choses de l’amour, lui qui, avec ses deux meilleurs amis, ne connaît de l’amour que ce qu’il en a lu dans ses comics.

Mais si l’histoire est magnifiquement ficelée, je crois que la mise en scène m’a encore plus bluffé. L’immersion est totale. Je ne suis pas un expert ès cinéma, loin de là, mais clairement je me suis senti vivre l’action, à chaque moment du film. Et ça c’est un atout de taille. C’est ce qui fait la différence entre une scène de tabassage peu choquante et un passage à tabac révoltant, cruel, tant la violence brute y est capturée et restituée par le biais de l’écran. Aucun filtre ne s’immisce entre ce déchaînement sauvage inexpliqué, chaque agression heurte et écœure.

Au final, c’est un film exceptionnel qui nous est offert. Ce pastiche de super-héros ne fait pas seulement rire, il émeut et choque également, notamment grâce à une mise en scène époustouflante. Les scènes de violence sont très crues, et en ce sens peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes (moi-même j’ai été choqué, bien que je ne sois point cœur d’artichaut). L’histoire, malgré son côté ramassis de clichés subtilement réagencés, tient la dragée haute à n’importe quel autre film dit sérieux. On pestera légèrement à un ou deux moments, quand une scène d’action est peut-être trop irréaliste, mais en-dehors de ces très rares passages je considère que c’est un sans-faute sur toute la ligne. Je terminerai avec un mot sur ma scène favorite du film. Le sourire aux lèvres, j’étais presque en transe quand la musique d’Ennio Morricone est venue siffloter à mes oreilles radieuses, pendant que mon regard captait avec avidité la vision délictueuse qui m’était offerte. Décidément, un film d'exception.


vendredi 29 juillet 2011

Janua Vera - Jean-Philippe Jaworski

Qu'est donc Janua Vera? Rien dans l'introduction ou dans le développement ne semble élucider ce titre énigmatique, aux consonances harmonieuses. Nous opterons pour le nom secret du Vieux Royaume, que Jean-Philippe Jaworski, au travers des huit nouvelles proposées, tentera de nous initier. L'auteur, apparemment un grand fan de jeu de rôles puisqu'il est le créateur de deux JdR déjà (Te Deum pour un massacre, et Tiers Âge), réussit brillamment son coup. Bien qu'on soit dans un premier temps surpris par sa prose si délicate, on finit par accrocher aux histoires qui nous sont narrées avec tant de talent.


En effet, la plume de Jaworski est décidément exquise. Elle effleure le verbe, caresse le papier et stimule nos sens. Jaworski brode comme un maître tisserand, il emploie des fils d'or, d'argent et de multiples autres teintes exquises, qu'il s'amuse avec passion à coudre ensemble, pour former au final un motif majestueux. Et clairement, quand je dis qu'il brode, c'est à prendre également au figuré. Car sous les frusques étincelantes, se cache la plupart du temps une histoire peu haletante, qui sous la plume d'un autre eut souffert d'un développement moins harmonieux. Oui, les histoires ne sont pas toujours passionnantes. Ca traîne même en longueur. Mais ce rythme paresseux de l'auteur est voulu, il souhaite nous faire profiter de son style inimitable, décrivant avec un soucis du détail les environnements, les changements d'état, les micro-variations.
 
En revanche, dès que la scène s'anime et que les protagonistes passent à l'action, l'immersion enveloppe encore un peu plus le lecteur de son manteau brodé, et ainsi calé, bien au chaud, le spectateur ne peut que vivre l'action qui se déroule sous ses yeux. Moult détails et gestes anodins poussent le lecteur à plonger en apnée sous l'écriture délictueuse de Jarowski. Tout comme les paysages alentours, les faciès et comportements sont longuement étudiés et fidèlement rendus. Il faut reconnaître à l'auteur, en sus de sa narration exemplaire, une maîtrise très poussée du français et de termes désuets. C'est surtout à propos des vêtements que l'on notera une minutie époustouflante, de locutions peu parlantes, mais finalement si immersives.
 
Mais le lecteur que je suis déplorera par instants le manque de dialogues, qui auraient certainement dynamisé le récit. En effet, il y en a peu dans Janua Vera. Le style est éminemment rapporté, ce qui n'exclue pas une psychologie plutôt réussie des protagonistes. Mais le point de vue omniscient peut parfois lasser, et l'on souhaiterait alors plus de discours léchés comme il nous en est parfois servis. Car à l'instar du reste, les rares échanges sont très réussis. Mais j'ai parfois eu l'impression d'être en décalage avec les personnages et la narration. Par exemple, l'introspection omnisciente d'un barbare m'a donné une idée plutôt intelligente du guerrier, alors qu'il s'avère plutôt benêt, des dires du narrateur. A l'opposé, quand Jaworski raconte des batailles (celle de Kaellsbruck en particulier), on ne peut être que captivé par le réalisme de la situation. De même, lorsqu'il s'essaie brièvement à l'humour, il réussit avec brio à mixer histoire et malice
 
Cependant, il est dommageable que les nouvelles ne bénéficient pas d'une histoire plus attirante. Non pas qu'elles soient fades, mais si on extirpe les faits en eux-mêmes, les histoires n'ont rien d'exceptionnelles. Certaines comme celle de l'assassin sont vraiment réussies, et d'autres un peu moins, comme Le Conte de Suzelle, beaucoup plus prévisible. A ce titre, les deux nouvelles narrées à la première personne sont mes préférées, bien que Le Confident, dernière nouvelle du recueil, ne fasse qu'une trentaine de pages. Et il semble que Benvenuto, l'assassin que l'on rencontre dans Mauvaise Donne, la meilleure nouvelle selon moi, soit le protagoniste de la suite de ce très bon livre introductif du Vieil Empire. Au vu des critiques, il y a des chances pour que Gagner la guerre soit de meilleur niveau que Janua Vera, qui, rappelons-le, est le premier livre de Jean-Philippe Jaworski. Chapeau l'artiste pour ce premier essai, d'entrée transformé, surtout aux yeux d'un piètre admirateur de la Fantasy
 
Du très bon divertissement donc, et certainement un auteur qui me fera épisodiquement zieuter sur ce genre dont je ne suis pas le plus fervent défenseur.

Alice au pays des merveilles - Lewis Carroll

Depuis un bon moment maintenant, voire longtemps, ce classique du merveilleux m’attirait. Impossible, lorsque l’on recherche l’étrange, de passer à côté du mythique Alice au pays des merveilles, conte séculaire (et pour une fois il n’y a aucune exagération dans le propos) qui fit grand bruit lors de sa parution en 1865. Pour que l’ouvrage traverse les âges sans sourciller, inspirant sans relâche les écrivains de chaque époque - que cela passe par le simple hommage, jusqu’à l’adaptation personnelle -, et fasse d’autres apparitions plus ou moins voilées sur d’autres support, tels que le cinéma ou la bande dessinée, c’est que le livre de Lewis Carroll, alias Charles  Ludwige Dodgson dans la vraie vie, doit posséder quelque chose en plus que les autres.


Et c’est vrai, Alice aux pays des merveilles est un conte étrange. Tant mieux puisque c’est ce que je recherchais. L’histoire, beaucoup la connaissent plus ou moins bien, mais le synopsis est certainement un des plus célèbres qui soient : Alice s’ennuie fermement lorsqu’un lapin blanc incongru déboule devant ses yeux pour pénétrer dans un terrier. Intriguée par cet animal, elle se décide à le suivre et tombe dans le dit terrier. Cette chute sera le point de départ d’un voyage éphémère mais extraordinaire, où la jeune héroïne sera confrontée à un monde loufoque, n’obéissant à aucune logique, et aux habitants tous plus déconcertants les uns que les autres.
 
Le récit est assez vite expédié. Comptez une petite poignée d’heures pour arriver au bout des douze chapitres. Ceux-ci sont assez courts, car le style de Carroll/Dodgson ne s’embarrasse pas de fioritures. Cela s’explique par le but originel de ces histoires : Carroll, dont le bégaiement la tendance à l’asociabilité l’éloignaient de ses pairs, développa une passion pour les petites filles, et notamment pour Alice Liddell, cadette des trois filles du doyen de l’établissement dans lequel il enseignait. Sa tête, encore remplie des monstres de son enfance, fut soudainement sollicitée par la petite Alice qui lui demanda de lui écrire une histoire. Sans même s’en douter, la fillette venait de pénétrer dans la légende. Et, dans une moindre mesure, ses deux autres sœurs.
 
Effectivement, les deux autres protégées de Carroll sont parfois évoquées en filigrane, à travers des chansons ou des poèmes, tous détournés ou créés de toute pièce par l’écrivain. Les références foisonnent, mais évoquent – pour celles que j’ai remarquées, grâce aux notes bienvenues de l’éditeur – pour la plupart des chansonnettes d’alors, destinées à éduquer les enfants, et ce d’une façon très moribonde pour Carroll. Donc, l’auteur s’est amusé à les détourner, à transformer d’une manière absurde ces historiettes afin de les rendre bien moins pédantes en termes d’éducation, et bien plus imaginative et récréative qu’à l’origine.
 
  Cependant, je suis peu friand de chansonnettes et de poèmes dans les œuvres, d’autant plus lorsqu’ils foisonnent autant qu’ici. C’est tout simplement que je n’arrive pas à m’immerger dans le texte. Donc, ces passages ont peu retenu mon attention. Et c’est dommage, car cela hache le rythme de l’histoire, qui d’ailleurs a tendance à fuser. Les descriptions sont réduites au minimum, préférant se concentrer sur les pensées d’Alice et sa découverte du monde. Même si l’ouvrage est court, il se passe beaucoup de choses, et ne pensez pas trop souffler pendant la lecture. D’autant qu’il faudra par moments s’accrocher pour suivre les élucubrations issues du cerveau tortueux de Lewis Carroll : toute situation est prétexte à de nouvelles facéties, qui décontenanceront n’importe qui habitué à un minimum de rationalité. Et bien qu’Alice soit la seule personne à partager notre ébahissement, on ne peut s’empêcher de se sentir par moments largué dans quelque situation encore plus singulière que les autres.
 
Effectivement, quelques scènes me paraissent aller trop loin dans le délire, tombent dans l’absurde incompréhensible – pour moi. Les propos tenus sont, à de rares occasions, tellement tarabiscotés que la compréhension relève du chemin de croix. Néanmoins, l’absurde a sa logique, et il est très rafraichissant de la voir à l’œuvre, et produire ses méfaits sur l’innocente Alice, petite fille sage modèle, qui, face à ce condensé de bizarreries, doute par moments d’être bien elle-même tant le monde fabuleux auquel elle est confrontée se moque de toutes les lois préétablies, que ce soit en matière de logique, de physique ou même d'expressions de tous les jours que l'auteur s'amuse à détourner pour notre plus grand plaisir, et qui amènent à de jolis traits d'esprits souvent très drôles.
 
Derrière tout cela se cache également une critique de l’ère victorienne, la plus explicite – car commentée par l’éditeur – étant les parodies de poèmes évoqués au-dessus. Certains personnages sont également très caricaturaux, comme la reine ou la duchesse, mais s’inscrivent 'logiquement" dans ce monde. D‘autres m’auront certainement échappées, mais une lecture plus attentive saura certainement les déceler. Un conte enfantin où se niche en filigrane une critique par l’absurde ? Certainement.
 
Bref, Alice au pays des merveilles est un conte dépaysant, même pour le lecteur d’aujourd’hui, mais qui ne m’a pas fait l’électrochoc attendu et souhaité. En cause ce rythme tronqué par les multiples parodies, mais aussi des situations parfois trop poussives. Cependant, certains passages m’ont bien fait rire, et l’imagination de Lewis Carroll assure des passages très plaisants. A lire, tout simplement, malgré une légère frustration.

Les Trois Mousquetaires - Alexandre Dumas

C'est dans un quotidien parisien du XIXè, prénommé Le Siècle, et sous forme de feuilleton, que vit pour la première fois le jour Les Trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas. La même année, en 1844, les éditions Baudry proposèrent l'ouvrage dans sa totalité, permettant aux fortunés d'antan de goutter à l'onanisme littéraire grâce à la prose de Dumas.



D'Artagnan est Gascon et fils de seigneur. A 18 ans, il part direction la capitale muni d'une lettre de recommandation de la part de son part à destination de M. de Tréville, capitaine du corps des mousquetaires, garde personnelle et exclusive du Roi. Mais en chemin, il fait halte dans un petit bourg au nom de Meung qui va, mais il ne le sait pas encore, changer sa destinée. Arrivé à la capitale, il se présente devant M. de Tréville sans sa providentielle lettre qu'il a perdu à Meung lors d'une altercation. Allant au contraire des espoirs de d'Artagnan, le capitaine du corps des mousquetaires ne peut l'accepter dans son corps d'armée, ses états de service faisant défaut. C'est à ce moment là que d'Artagnan aperçoit son provocateur de Meung par la fenêtre. S'eclipsant sans crier gare du bureau de M. de Tréville, le jeune gascon se lance à la poursuite de l'inconnu. Par malchance il le perd de vue, tout en s'attirant à cause de sa poursuite vaine trois duels avec les mousquetaires Athos, Porthos et Aramis. Les duels étant officiellement prohibés, la rencontre se fait dans un lieu discret, où les compagnons seront dérangés par la milice cardinaliste. Ni une ni deux, d'Artagnan se joint aux côtés des mousquetaires qui sont en infériorité pour le combat.

De retour au bureau de Tréville, ce dernier le confie comme cadet à la compagnie de son beau-frère M. des Essarts. Du duel précédent, il naîtra une forte amitié entre les quatres hommes qui les conduiront dans de folles et périlleuses aventures.

Vieux bouquin que ces Trois Mousquetaires. Déjà plus de 150 ans et l'histoire n'a pas pris une ride, ou presque. C'est devenu un classique connu de tous, ou tout du moins par son nom. Mais paradoxalement, et bien que Les Trois Mousquetaires évoque invariablement les noms de d'Artagnan, Athos, Porthos et Aramis, peu de gens savent qu'en réalité d'Artagnan n'est pas mousquetaire, tout du moins à la base. Le tir est maintenant rectifié et je peux me concentrer sur la cible de cet avis.

Ce qui surprend lorsque l'on lit les premières pages, c'est le style de Dumas. Le ton est résolument aux proses excessives et aux phrases longues, la plume est exquise et le style n'est certes pas vieillot malgré quelques termes aujourd'hui archaïques. Oui c'est beau, c'est riant, c'est dansant. Et on se retrouve bien vite happé par la prose langoureuse qui n'a de cesse de nous fournir de si onctueux échanges. Ces gentilhommes sont beaux, forts et ont de l'aplomb, mais en plus ils savent parler, font de la poésie en prose pour notre plus grand bonheur. Ils ne s'empressent pas, prennent leur temps et visitent les lieux, ce qui nous donne le loisir d'observer la scène de l'extrait présent. Dumas aime en effet s'attarder sur certains passages frivoles mais qui font tout le sel de l'oeuvre, ces petits à côté qui forgent au final la personnalité de l'oeuvre. Et bien que je soupçonne Dumas d'avoir volontairement rallongé son livre de cette manière (il était payé au mot ou à la ligne) je ne lui en tient absolument pas rigueur pour ce supposé appât du gain; mieux encore je l'en remercie pour m'avoir donné à lire ces délictueuses saynettes d'apparence banale mais profondément riches.

Le style est si doux qu'on en vient à le privilégier à l'histoire, à souhaiter que les personnages parlent sans discontinuer, quitte à sacrifier l'histoire et nous proposer de si beaux mots dans de si belles bouches. Mais non, il faut parfois en revenir à l'histoire, la faire avancer et créer alors un suspens susceptible d'alpaguer le chaland du XIXème, pauvre hère assoiffé de ripaille et de duels entre mousquetaires et cardinalistes. Alors la narration reprend son droit, et les dialogues sont délaissés pour un exposé à la langue certes toujours riche, mais à la linéarité malvenue et qui devient fade en comparaison des échanges doucereux. Eh oui, même Dumas peut tomber dans le piège de la linéarité. Et c'est là que son style en pâtit, car si les dialogues nous emmènent parfois au septième ciel, la narration nous fait retomber sur la terre ferme. Bien entendu le langage n'en pâtit point; mais c'est d'une affiction profonde que l'on souffre lors du voyage en Angleterre. Très linéaire et avare en dialogues, cet épisode d'une centaine de pages et cette formule viendront encrasser une copie pourtant proche de l'excellence. Ah dieux infâmes et démons pernicieux! Pourquoi permettre cet écart criminel qui, d'une oeuvre magistrale et magique en puissance, d'une histoire légendaire aux dialogues divins, se transforme par l'usure du temps en un récit seulement excellent qui ne rend qu'à moitié gloire à ce titre pharaonique? Là où les mots auraient pû être délivrance de l'âme et de l'esprit, cette lourdeur parfois excessive transforme la poésie prosaïque en chemin de croix que l'on ne peut par moments embrasser.

Jack Barron et l'éternité - Norman Spinrad

Ah l'immortalité ! Qui donc n'a jamais rêvé de cette chimère rutilante dans ses moments les moins fous ? Il me semble raisonnable de prétendre que tous, nous avons un jour ou l'autre fantasmé sur cet espoir infini. Mais ce rêve nous quitte rapidement, car la vie réelle rapplique au galop pour nous rappeler que l'homme n'est que de l'engrais en puissance. Cynique je suis ? Certainement. J'ai bien du mal à croire à la vie éternelle, même dans un autre monde. Et je ne suis pas le seul. Jack Barron également, le héros de Norman Spinrad.


En effet, Jack Barron est un animateur vedette au succès retentissant. Son émission, Bug Jack Barron, rallie chaque mercredi soir cent millions de téléspectateurs devant leur écran cathodique pour une heure de show acharné. Redresseur de torts moderne des communautés défavorisées, l’homme loue ses services audiovisuels à une victime qui le sollicite, et contacte alors les personnes responsables des déboires de son interlocuteur pour les faire suer à son tour. Mais en réservant sa vindicte à de faibles adversaires, certainement pas aux grands pontes. Son business lui est trop précieux pour se risquer ainsi aux puissants de ce monde. Quelques éraflures à l'apparence d'estocade pour satisfaire son public. Mais peut-il continuer de la sorte lorsqu'il découvre un projet visant à l'immortalité humaine ? Est-ce que le jeune Jack Barron, pétri des idéaux de Berkeley refera surface ? Ou bien cèdera-t-il à l'appât de l'immortalité ?
 
D'emblée, Spinrad pose son héros comme un homme aux illusions brisées. Fondateur du mouvement des Bébés Bolchéviques dans sa jeunesse, il s'est départi de ses idéaux de justice et d'égalité pour accéder à la notoriété. D'un cynisme sans borne, Barron n'a rien de l'image du chevalier blanc qu'il arbore à l'écran. Il lutte désormais pour lui-même, mais n'en demeure pas moins sensibles aux problèmes du monde. Surnommé comme le plus grand « baisse-froc » qui soit par son entourage, il représente en réalité l'archétype de la vedette capitaliste. Spinrad s'en sert pour dénoncer les compromis inhérents à la réussite sociale. Et la classe « dominante » n'est guère plus reluisante. Elle revêt une couche de crasse encore plus épaisse et bien plus dégueulasse. Sous les traits de Benedict Howards, requin implacable qui pèse cinquante milliards de dollars, se niche une mégalomanie à toute épreuve, une volonté de toute-puissance et d'asservissement effroyable. Pour parvenir à ses fins, il n'hésite pas à contacter l'ex-copine de Barron, Sara - une jeune femme qui n'a toujours pas lâché sa foi dans ses idéaux et dans l'admiration qu'elle porte à Jack -, et se servir de l'ancienne maîtresse pour manœuvrer l'animateur vedette.
 
Vous l'aurez compris, le gros point fort de Bug Jack Barron (titre VO) réside dans sa palette de personnages. Spinrad prend le soin de développer méticuleusement leur caractère, sans oublier aucun des seconds couteaux qui parsèment le récit. Cependant, il y a un coût en terme de rythme. Personnellement ça ne m'a pas gêné, d'autant que le passage au crible des motivations de chacun offre un enrichissement appréciable. Le second facteur rythmique est à mettre au crédit des réflexions de Spinrad sur son époque. Déjà, il dénonçait les dérives politiques qui consistaient à exploiter les espérances des communautés pauvres. Comme il le dira, la politique est une tour d'ivoire construite au milieu d'un tas de merde, dont le sommet empêche de sentir les effluves des immondices. Cette critique avait d'ailleurs suscité une vive polémique au parlement  anglais dans les années quatre-vingt (définition du parlement selon Desproges et Coluche : mot composé des termes parler et mentir), où un député l'avait qualifié de « dépravé, cynique, hautement repoussant et parfaitement dégénéré ».
 
Un jeu d'enfant qui s'est chargé de haine avec l'âge, nous dit sentencieusement l'auteur. Une drogue comme une autre - pire qu'une autre peut-être, lorsqu'on voit que les substances planantes ont été légalisées, au point d'en faire la publicité -, qui exige des doses toujours plus massives à mesure que l'on gravit les échelons. Mais certains devront se contenter de doses plus faibles, comme les noirs. Spinrad pose un regard lucide sur son époque, et dénonce ouvertement le clivage noir-blanc, dont seul Barron parvient à s'affranchir en raison de sa « demi-teinte ». Néanmoins, quel que soit la couleur ou la race, tous les politiciens sont des « baisse-frocs », s'aperçoit au fil de l'aventure Barron, bien que la télévision ne soit pas non plus épargnée. Le showbiz' est présenté, comme chacun le sait aujourd'hui, en fabrique à images. Novateur et percutant pour l'époque. Les émissions de télé sont l'occasion de mettre en scène la manipulation consciente due au montage, et à la mauvaise foi manifeste des présentateurs. Ces moments sont d'ailleurs propices à des joutes verbales de grande ampleur, où la mécanique de la manipulation est extrêmement bien huilée. Jack Barron en est conscient, la télévision est son terrain de jeu, sur lequel il est imbattable et édicte ses règles. Un appel criant à la vigilance.
 
On ne peut terminer une présentation de Bug Jack Barron sans évoquer le style de Norman Spinrad. Il en déconcertera plus d'un, d'autant plus si l'on n'est pas averti au préalable. L'auteur tente de conjuguer la dimension psychédélique de la drogue avec l'écriture, et n'hésite pas pour cela à supprimer la ponctuation à certains moments. Au départ, on se dit que les rotatives ont du merder à certains endroits, ou que le traducteur était complètement torché à l’instant de s’atteler à la tâche. Mais non, l'auteur persiste et signe, et l'on cherche de moins en moins à remettre les virgules à leur place pour plonger dans le flux de ces mots détachés, expérience très agréable si l'on parvient à y pénétrer.
Une douce nuit de mai new-yorkaise, et la chambre à coucher s'ouvrait entièrement face à eux du sol au plafond et d'un mur à l'autre sur les palmiers nains de la terrasse ciel ouvert sur le halo nocturne de la cité le plafond un dôme de verre transparent donnant sur un ciel noir sans étoiles la moquette épaisse et sensuelle ondulant sous l'effet de la brise venue librement du dehors le grand lit circulaire surélevé au milieu de la pièce, illuminé par des projecteurs de lumière dorée dissimulés dans la boiserie semi-circulaire autour du lit couverte de lierre véritable (rayons encastrés aux livres précieux, console de contrôle électronique). Bruit de mer enregistrée dans le lointain, bruits d'insectes bruits de nuit tropicale remplaçant la musique lorsque Barron ajusta la console murale.
Néanmoins, tout n'est pas parfait. J'émets un bémol sur un événement charnière du milieu de l'ouvrage, qui se révèle un peu trop artificiel à mon goût, et qui oriente le lecteur sur la voie du mystère, alors que Barron peine à comprendre de suite. Une manifestation du vieillissement de l'oeuvre, ou simple faille narrative ? Peu importe, car le final, extraordinaire, compense largement cet écart malgré tout longuet.
 
Au final, Jack Barron et l'éternité est une oeuvre bourrée d'intelligence sur tous les plans. Des personnages intelligents, une histoire habilement ficelée riche en rebondissements – malgré un élément trop téléphoné -, et un propos qui sait évoluer au fil de la lecture. La réflexion sur l'immortalité est également un ajout intéressant. On regrettera seulement quelques longueurs ponctuelles, mais rien de bien grave devant l'ampleur de l'ouvrage. Et puis, quelle tension lors du dernier round !

jeudi 28 juillet 2011

World War Z - Max Brooks

Aujourd’hui sur Foudre Olympienne, nous allons parler biologie ; oui, vos yeux ne vont trompent pas, n’enfilez pas vos bésicles, on va bien causer sciences nat’. Mais de manière spéciale, pas comme vos vieux profs de lycée à la voix chevrotante : on va se la jouer à la Max Brooks, avec une bande de joyeux zombies pour foutre la pagaille, donc restez pour la suite !


Terre, XXIème siècle. L’humanité vient d’échapper à l’extinction ; l’arme atomique n’est pas en cause, non, pas cette fois. C’est un ennemi bien plus dangereux qui a failli la décimer : cet ennemi c’est Zack, le Zombie, cet être que l’on croyait bien enfermé dans les bouquins de science-fiction et de fantastique. Mais comme on l’a dit l’humanité a survécu. Dans la douleur, certes, puisqu’un milliard seulement d’êtres humains peuplent désormais la surface du globe. Mais Zack est vaincu, c’est bien ça l’important ; et le triomphe, la résistance de l’espèce humaine se doit d’être consignée quelque part. C’est l’entreprise de l’auteur, journaliste délégué auprès de l’ONU, qui parcourt le monde à la recherche de récits de cette guerre, rassemblés ici sous la forme de chroniques.
 
Ainsi le journaliste, dont le nom restera dans l’ombre, donnera la parole aux résistants, aux témoins, aux acteurs de cette Guerre des Zombies, se contentant de poser épisodiquement quelques questions. Ses rencontres l’amèneront à rencontrer toutes sortes de gens – loin d’être des parangons de vertu le plus souvent -, du Pérou au Mali en passant par Bagdad et Tokyo. Entre autres. Car Max Brooks semble avoir couvert le planisphère, exploré les moindres recoins, des plus évidents aux plus improbables, comme ces archipels de radeaux errant au gré des flots, accueillant à leurs bords des survivants émigrés.
 
Oui, Max Brooks a pensé à tout, ou du moins à beaucoup. L’exhaustivité est le premier mot qui me vient à l’esprit lorsqu’il s’agit de qualifier ce livre. J’ai bien été surpris de constater à quel point l’auteur avait creusé son sujet, introduit certains éléments qui de prime abord n’avaient aucun lien avec le sujet. Mais finalement Max Brooks remplit bien les pages, il écrit sans meubler. Mieux, les fondations sont étudiées avec soin : si l’on sait dès l’entame que l’humanité a vaincu, on revit dans l’ordre les événements passés, on suit l’évolution des événements depuis les premiers symptômes jusqu’au retournement de situation ; la gradation de la situation est décrite dans le détail. On assiste à la découverte des premiers cas, à l’aveuglement global de l’humanité, l’exode urbain massif, le regroupement organisé, le recouvrement d’un semblant de gouvernement, puis la résistance organisée massivement. Chaque chronique est l’occasion d’aborder un point précis de cette machinerie bien huilée, on sent tout au long des quelques 530 pages (version poche) la minutie apportée à ce monde dévasté.
 
Chaque chronique est aussi le vecteur d’une réflexion contemporaine. Prendre World War Z comme un simple divertissement est une grossière erreur, et malgré l’objectivité du journaliste c’est par par le truchement des témoins que viendra la critique. L’homme moderne est mis en cause, il est mis à nu sous la pression de l’horreur imminente ; son individualisme dicté par le capitalisme se révèle face aux zombies. Oh certes ce n’est pas le seul thème – heureusement -, les médias sont aussi mis en cause, de même que les services de renseignement, victimes également de l’aveuglement général (référence à la polémique du 11 Septembre?). L’armée est tout autant visée, sinon plus, montrée comme incapable, voire responsable de l’épidémie, mais réhabilitée faiblement au moment de la victoire finale grâce à l’expérience acquise. On sent tout de même un certain patriotisme là-dedans, la CIA étant montrée comme une simple organisation bien moins puissante qu’on la décrit, mais c’est surtout lors du discours du président américain qui sonnera le glas du retranchement humain. Une belle leçon dans ce discours, à laquelle j’adhère complètement et qui montre que l’auteur a cerné une problématique fondamentale, mais pourquoi diable les américains sont-ils toujours les héros de ce genre ? Y a-t-il réellement un « esprit américain » qui rend ce peuple outre-atlantique si combattif ? Ou n’est-ce qu’un cliché véhiculé par les films ? Certainement entre les deux, comme d’habitude.
 
Et Zack là-dedans ? Notre pote le zombie, ce trublion responsable des chambardements, que devient-il dans l’histoire ? Eh bien force est d’avouer qu’on n’en saura pas grand chose, ou du moins pas autant qu’on l’aurait souhaité. A ma grande surprise Zack s’est fait voler la vedette par nos amis humains, par leurs travers plus exactement, et ce choix se comprend quand on voit les thèmes développés par Max Brooks. Non je suis injuste, on en apprend pas mal sur Zack au final, enfin surtout sur ses incongruités. A l’inverse de Richard Matheson avec Je suis une légende, Brooks multiplie les mystères autour de sa créature, invoque régulièrement la science, mais ne tente jamais l’exercice casse-gueule d’explication fondamentale de cet état. Personnellement je n’y vois pas d’inconvénient, j’y vois au contraire une démarche intelligente. Cependant il manque à l’histoire une composante pour moi fondamentale : aucun cobaye zombie. Dans un monde capitaliste marqué par toutes sortes d’expérimentations, comment se fait-il qu’aucun scientifique ou toute autre personne sensée n’ait tentée de capturer un zombie pour réaliser quelque expérience dessus ? Voici pour moi la grande interrogation concernant ce livre, c’est peut-être la seule brique manquante.
 
Malgré tout World War Z ne me laissera pas un souvenir incandescent ; si je salue sans retenue l’aboutissement du concept, il aura manqué au livre une composante pour emporter ma totale adhésion. L’émotion. L’empathie. Ce sentiment d’intérêt envers les personnages côtoyés. C’est peut-être la structure même du livre qui veut ça, des chroniques traitant de personnages indépendants les uns des autres, mais voilà, la relative longueur de l’ouvrage mêlée à cette mosaïque écartelée d’acteurs lambdas n’aura pas su conserver intact mon intérêt. Ce qui ne m’empêche pas de vous le recommander, bien au contraire.
 

La cuisse de Jupiter

Shazam Bouummm Graaammm !

Ce bruit sourd et ardent, lourd et profond de sagesse contenue, n'est pas le bruit de la foudre mais l'écho de sa puissance souveraine, prenant source dans l'éther infini en un flash de lumière implacable, se répercutant dans chaque direction et chaque dimension de l'espace pour aller frapper de sa stridence infernale chaque atome de vie abrité par le mirifique globe terrestre. Le temps de la résurrection approche, les éléments s'y mêlent et le noeud conjonctif engendré par des années répressives vient à se rompre. Oui, Dame Nature le sait, son protégé s'apprête à revenir, libéré des tourments expiatoires des entraves de la toile ; son heaume et son glaive l'attendent au chaud, ses premiers faits d'armes font d'avance trembler le réseau.

C'est vrai, je me la pète un peu. Mais en tant que blogueur, et de surcroit étant chez moi, je fais un peu ce que je veux. Sinon quel intérêt ? Alors me voici. Certains qui me lisent en ce moment me connaissent déjà ; et pour cause, ceci est mon second blog. Le premier était hébergé chez OverBlog. Je n'ai pas de mauvaise publicité à leur faire, seulement je me sentais à l'étroit faute de fonctionnalités suffisantes. Mais trêve de passéisme, tournons-nous vers l'avenir ! Bien que ce blog reprenne le même nom que l'ancien. En effet, le "concept" reste inchangée, l'idée migre vers de nouveaux serveurs pour mieux prendre son envol. Je n'ai pas souhaité changer de nom, l'ancien me convenait suffisamment pour que je le conserve.

Quant à ceux qui ne me connaîtraient pas, il est temps de me présenter. Me voici, GiZeus sur la toile, lecteur entre autres choses dans la vie réelle, et chroniqueur de ses lectures. Histoire d'exposer succinctement mes goûts, j'ai un faible pour les littératures de l'imaginaire, la SF notamment, la littérature dite classique, que j'explore davantage depuis que je l'ai redécouverte de mon propre chef, et un peu de poésie à l'occasion. Et quand j'ai envie de faire mon intello, j'enfile mes binocles et je plonge dans quelques essais.

Voilà, que dire d'autre qui achève de vous séduire ? Rien certainement, le succès est complet et j'entends déjà la fibre optique crépiter de douleur sous les assauts impitoyables de ma horde de fans en furie, s'attaquant sans relâche aux serveurs google pour trouver la faille qui leur donnera mon IP et mon adresse IRL. Et pourtant je sais que j'accroîtrai encore cette exaltation passionnée quand j'annoncerai que dans un soucis d'exhaustivité, j'importerai la quasi-intégralité de mon ancien blog.

Sur ce, car je sens que ma connexion internet commence à lâcher, je vous libère de l'emprise de ce billet et vous permet d'aller vous perdre dans les méandres alphabétiques de mes chroniques.

Bonne lecture.